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L’exclusion de la psychanalyse du coeur du DSM au profit de l’industrie pharmaceutique, Paris 18ème

L’appétit féroce de l’industrie pharmaceutique

Fernando de Amorim
Paris, le 23. I. 2008

Dans « Le Figaro » du 22. I. 2008, nous apprenons que l’étude d’Erick Turner de l’Université de l’Oregon, met sérieusement en doute l’honnêteté scientifique des études réalisées sur l’efficacité des nouveaux psychotropes mis sur le marché depuis le milieu des années 1980 : « La fluoxétine (alias Prozac), est mise en doute par des experts américains de la FDA, la toute puissante agence américaine du médicament. », écrit la journaliste Catherine Petitnicolas.

Une telle information est de la plus haute importance pour les citoyens en général et les psychanalystes en particulier ; le détournement de la population de la clinique par la parole (celle qui justifie l’existence de la psychanalyse) vers la pratique mercantile à grande échelle des antidépresseurs, coïncide avec l’exclusion de la psychanalyse du cœur du DSM. Pour la petite histoire : la première édition du manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-I)) a été publiée en 1952 et diagnostiquait 60 pathologies. La deuxième édition est parue en 1968 et diagnostiquait, elle, 145 pathologies. Ces deux premières éditions ont été fortement influencées par la psychanalyse et la clinique freudienne de la névrose, de la psychose et de la perversion.

A partir de la troisième édition du DSM, la psychanalyse est bannie définitivement du manuel publié par l’APA (Association américaine de psychiatrie). Cette troisième édition est éditée en 1980, c’est-à-dire, au moment même où débute la supercherie des essais cliniques. Moment où, si j’ai bien interprété l’étude du collègue nord-américain, l’usage des psychotropes commence à prendre le dessus sur la clinique par la parole. Comme si la publicité de masse avait pris le dessus sur la subjectivité du symptôme. Selon Erick Turner, qui est psychiatre et pharmacologue et non psychanalyste, les médicaments mis sur le marché depuis le milieu des années 1980, ont vu leur efficacité exagérée par les fabricants. Turner n’y va pas de main morte : selon lui, si la moitié des études disent que les antidépresseurs peuvent apporter un effet positif, l’autre moitié était maquillée pour donner au résultat un aspect positif : « Des publications sélectives peuvent conduire les médecins et les patients à croire que ces médicaments sont plus efficaces qu’ils ne le sont vraiment, un résultat susceptible d’influencer les prescriptions. ».

Une fois la psychanalyse sortie du terrain, qui est-ce qui gagne avec la mise en place de l’idéologie marchande des psychotropes ? L’Etat gagne des sommes considérables quand les usines pharmaceutiques augmentent leurs chiffres d’affaire ; les laboratoires gagnent des parts des marchés en élargissant la « définition d’une maladie à traiter pour augmenter la quantité des traitements vendus. », comme avait dit – citée dans le même article – la chercheuse canadienne Barbara Mintzes ; les médecins gagnent. Ils gagnent une fausse tranquillité en se débarrassant du patient gênant, en torpillant leur angoisse et hypnotisant leur existence à coup de Prozac.

Les associations de malades gagnent car elles sont financées par les laboratoires, selon la psychiatre belge Monique Debauche, et enfin, les patients. Ces derniers gagnent aussi, puisque entre être estampillés déprimés ou handicapés (ce que signifie avoir droit aux médicaments, aux arrêts-maladie, aux indemnités, à l’humiliation familiale et à un surmoi féroce et obscène) ou à aller se battre dans le consultoire du psychanalyste pour défendre ou conquérir leur dignité subjective, quelques-uns préfèrent s’isoler du monde, des autres ou se grouper en association. Notre fonction, en tant que cliniciens, n’est pas d’inhiber, paralyser ou droguer les patients, mais de réanimer leur désir.

C’est la fonction majeure de la psychanalyse, cela devrait être aussi un projet de société. Bien sûr, il est difficile de supporter le combat quotidien d’une psychothérapie ou d’une psychanalyse où, en fin de compte, on tombe sur l’évidence que si nous sommes dans la situation qui est la nôtre, nous y sommes pour quelque chose. Mais il y a pire. Le pire est se laisser-aller au chant des vautours qui infestent les cabinets médicaux, les écrans de télés, et des pages entières de nos journaux, pour vendre la nouvelle molécule venue au monde par une méthodologie douteuse (dans une ex-république URSS, en Inde ou en Chine) tout en faisant la promesse qu’elle aidera le prescripteur de service à éviter les inconvénients du transfert (l’amour et la haine, par exemple).

Notre expérience clinique a montré qu’au fur et à mesure que les patients s’engagent avec leur vie, ils sont moins dans la demande de médicaments et d’assistanat. Nous ne nous opposons pas à ce qu’un patient ou psychanalysant puisse faire appel aux psychotropes. Nous nous rebellons contre l’abus qui écrase la clinique et avec elle les êtres (qu’ils soient médecins ou patients). Nous tenons à nous insurger clairement contre ce comportement de vendeur de « craque » du coin de rue.

Les psychanalystes et les cliniciens en général connaissaient depuis longtemps les effets ravageurs de cette exagération des firmes pharmaceutiques, mais nous n’avions pas une étude pour le prouver. Nous avons trouvé en la personne du docteur Turner, notre interlocuteur impartial.

Personnellement je le salue et l’embrasse. Cette étude révèle au grand public ce que les psychanalystes dénoncent depuis fort longtemps, à savoir, un gonflement de l’imaginaire (marketing qui essaie de nous faire croire que les pilules peuvent nous désengager de nos responsabilités envers notre vie) au détriment du symbolique (de la parole, « simplement sans mystification », comme dit le poète brésilien Drummond de Andrade dans poésie « Les épaules supportent le monde »).

Avec comme risque certain de transformer un réel jusqu’alors supportable en une réalité invivable.