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L’hospitalisation sous contrainte et demande d’hospitalisation : quelle différence dans la prise en charge psychiatrique ?

À propos de la contrainte en psychiatrie

Jean-Baptiste Legouis
Paris, le 30 mars 2011

Au moment où l’Assemblée Nationale et le Sénat débattent sur un projet de loi réformant la loi de 1990 sur les modalités d’hospitalisation des patients en psychiatrie, un certain nombre de professionnels s’inquiètent des dérives possibles liées au cadre des hospitalisations sous contrainte, et au projet de contraindre les patients dans le cadre de leur traitement en ambulatoire. Vous pourrez avoir plus d’informations sur le site de l’appel des 39 contre la Nuit Sécuritaire.

Je souhaite apporter un éclairage clinique tiré de mon expérience auprès de personnes en grande précarité, sur les enjeux complexes de la contrainte dans le cadre des soins psychiatriques.

J’ai rencontré monsieur F… dans le lieu d’accueil de jour pour personnes sans domicile fixe où je travaillais il y a quelques années. Il est récemment sorti d’une hospitalisation d’office en psychiatrie. Il interpelle l’équipe pour qu’elle lui trouve un hébergement. Une solution est trouvée pour un mois dans un hôtel. Durant cette période monsieur F… ne fréquente plus la structure d’accueil de jour. Il revient très véhément à la fin de son séjour à l’hôtel en disant à l’équipe : « Vous devez me trouver un hébergement. » les travailleurs sociaux l’orientent alors vers les services d’hébergement d’urgence (le 115). Pendant les mois qui suivent monsieur F… vient presque quotidiennement, il reste dans sa demande d’hébergement et refuse toutes les orientations que nous lui proposons vers des soins, en interne ou en externe.

Il n’a plus de traitement et nous voyons, au fil du temps, son état se dégrader. Son hygiène est déplorable, il a des comportements étranges, il parle tout seul, rigole dans son coin de façon inquiétante, il erre dans les locaux sans parler aux autres personnes accueillies. Nous constatons un amaigrissement et le développement de parasites sur son corps. Nous cherchons alors une façon de lui apporter des soins. Son discours reste le même : « Je ne suis pas malade, j’ai juste besoin d’un logement. » Une partie de l’équipe pense qu’il faut le faire hospitaliser sous contrainte. Nous prenons contact avec le service dans lequel il avait été hospitalisé avant son arrivée dans notre structure. Nous apprenons alors qu’il avait été hospitalisé une première fois trois ans auparavant, à sa demande (Hospitalisation Libre). Cette hospitalisation avait été bénéfique il était docile aux soins, avait suivi une formation à sa sortie et bénéficié d’un hébergement dans un foyer plusieurs mois.

C’est suite à une crise familiale qu’il va harceler les services municipaux de la ville où il est hébergé et que le maire va demander une hospitalisation d’office, sous contrainte. Pendant les quelques semaines qu’il passe à l’hôpital, monsieur F… est sur la défensive, il parle peu et refuse les soins.

C’est pour cette raison que nous décidons de faire tout notre possible pour qu’il accepte d’aller à l’hôpital de lui-même. Pendant plusieurs semaines je le rencontre fréquemment pour parler avec lui de ce qui le fait souffrir et lui témoigner la vive inquiétude de l’équipe par rapport à son état de santé. Petit à petit son discours très projectif « Ce n’est pas moi qui suis malade, c’est vous. » évolue, et finalement, un vendredi après-midi il vient me voir et me dit : « Je suis d’accord pour aller à l’hôpital ». Je l’y accompagne immédiatement. Nous le reverrons quelques mois plus tard, il est venu chercher son dossier pour les démarches sociales en cours. Il a repris du poids, est propre, bien coiffé. Il est souriant et dans un contact adapté avec les personnes qu’il rencontre dans la structure. Il est suivi dans un CMP et hébergé dans un foyer.

Nous pensons qu’ici, le fait d’avoir pris du temps pour obtenir son adhésion plutôt que de le contraindre a été déterminant.