Faire son deuil après la perte d’un proche mort de la COVID-19
Ouarda Ferlicot,
Nanterre, le 17 février 2021
Récemment dans les médias, Stéphanie Bataille, comédienne, est intervenue pour mettre en lumière le drame que connaissent, comme elle, les familles qui perdent un ou des proches de la COVID-19 depuis le mois de mars 2020. Elle a ainsi rapporté sa douloureuse expérience et son indignation devant l’impossibilité d’avoir accès au corps de son défunt père.
La pandémie a ainsi modifié le processus même du deuil. Depuis mars 2020, les soins de conservation du corps mais aussi la possibilité de voir le corps avant sa mise en bière étaient interdits. C’est le cercueil fermé que les familles retrouvaient leurs proches. Un sentiment de privation peut naître de cette situation et empêcher le travail de deuil.
Notons, que depuis le 23 janvier 2021, le site du service public (source : https://www.service-public.fr/particuliers/actualites/A13974) a publié l’évolution des rites funéraires qui rend la présentation du défunt possible sur le lieu du décès dans le respect des mesures barrières.
Dans Deuil et mélancolie, S. Freud rappelle que le processus de deuil est un processus normal qu’il ne faut surtout pas perturber.
Pour entamer ce processus, notre civilisation a mis en place tout un cérémonial de rites funéraires qui permettent à la personne endeuillée d’entamer ce processus de deuil devant la perte de la personne aimée afin de progressivement s’en détacher. Autrement dit, il s’agit d’un véritable travail de séparation qui doit être respecté.
Pour entamer ce processus, voir le corps peut être nécessaire pour certains. Lorsque le Moi sait ce que veut dire la mort, c’est-à-dire, qu’il sait qu’il ne reverra plus jamais la personne décédée, il n’a pas besoin de voir le corps pour s’en rendre compte. Pour ceux qui y tiennent, il est important que cela ne leur soit pas refusé. En effet, voir le corps du défunt s’inscrit et participe d’un cérémonial, dont l’effet symbolique est d’ordonner et d’orienter les actes devant la mort qui relève de l’irreprésentable pour l’être humain. C’est pourquoi l’on parle de rites funéraires.
Parfois, il arrive que si l’être à connaissance de la mort d’un proche, une autre partie de lui la refuse et ne l’accepte pas. Dans ce cas, le fait de ne pas voir le corps augmente ce phénomène cauchemardesque dans lequel la personne présente des difficultés à réaliser et à accepter la mort.
Cela a pour effet un gonflement imaginaire qui peut perturber durablement le processus normal de deuil : “Est-ce que ma mère est bien dans le cercueil ?”. “Est-ce qu’il y a quelqu’un à l’intérieur ?” “Est-ce que l’on ne s’est pas trompé ?”, sont des questions qui peuvent tarauder l’être et l’empêcher d’accepter la réalité et de vivre avec celle-ci.
Par ailleurs, l’un des principes fondamentaux du cérémonial funéraire après le décès d’un proche est son inscription dans le social. On se réunit en famille pour une veillée, on prévient l’entourage, on invite les proches à l’enterrement. Les différents temps qui se succèdent permettent également de se recueillir et d’accompagner le corps jusqu’à sa dernière demeure.
Aujourd’hui, il faut aller vite, les cérémonies se font dans la plus stricte intimité et parfois à distance.
Cette pandémie de la COVID-19 précipite ses différents temps qui vont des soins de conservation du corps à la cérémonie, bouleversant ainsi la temporalité du processus de deuil qui permet au Moi endeuillé de réaliser qu’il ne verra plus la personne décédée.
Cela, sans compter la culpabilité qui peut naître du fait de n’avoir pas été présent, de n’avoir pas pu parler à la personne décédée. Ainsi les conditions imposées par la COVID-19 dans les rites funéraires peuvent créer, outre le sentiment d’impuissance devant la perte, un sentiment de détresse.
Depuis le 23 janvier 2021, les autorités semblent avoir entendues l’importance que ces temps puissent être respectés, en tenant un peu mieux compte des rites funéraires, afin de ne pas perturber ce processus de deuil qui peut avoir des conséquences psychiques lourdes sur le long terme.
Les nécessités qu’impose le réel ne doivent pas nous faire oublier l’un des fondements de notre civilisation, à savoir notre capacité à humaniser les différents temps de la vie humaine de la naissance à la mort. Il revient aux êtres parlants d’inventer une manière d’accompagner les différents temps de la vie dans le respect de la dignité humaine. Il s’agit d’une responsabilité éthique à chacun.