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« Migre-haine »

Alexia Dru
Luzarches, le 1er mars 2025

La reconnaissance de l’affect grâce à son expression par le corps

Lors de la cure, nous, les psychanalysants, sommes invités à associer librement à partir de nos pensées, nos rêves, nos symptômes corporels. C’est ce qui m’a permis d’aborder, lors d’une séance, ce qui m’avait fait souffrir récemment :
« J’avais une migraine…
– Qu’entendez-vous dans migraine ?
– Migre… Haine.
– Parlez de cette haine… »

Cette question m’a sortie de la simple plainte pour entendre ce mot d’une autre manière.  Elle a subtilement mis en évidence l’affect inconfortable que je ne m’autorisais pas à ressentir et qui se trouvait alors refoulé hors de ma conscience. Cet affect s’exprimait par ce mal de tête, qualifié par mes soins de « migraine ». Ainsi, j’ai pu reconnaître son existence et en parler.

Sigmund Freud, en 1909, l’expliquait ainsi :

« Le refoulement expulse la représentation pénible de la conscience et l’empêche d’entrer dans la pensée normale ; mais l’affect lié à la représentation ne peut être supprimé. Il trouve alors une autre voie et s’exprime par la conversion dans le corps. »[1]

Toujours selon Freud :

« La psychothérapie supprime l’efficience de la représentation non abréagie à l’origine en permettant à l’affect coincé de celle-ci de s’écouler par la parole, et elle amène cette représentation à la correction associative en la tirant dans la conscience normale […]. »[2]

En effet, cette séance m’a permis de dire cette haine et ainsi de l’associer librement à ma récente dispute avec une personne chère. Grâce à la parole, l’affect « haine » a pu être relié à la bonne représentation « personne chère ».

S’allonger sur le divan pour parler de sa haine, de ses émotions pénibles, de ses contradictions et de ses désirs, c’est choisir une autre voie d’expression que celle qui consiste à convertir une souffrance psychique en souffrance corporelle, voire en douleur organique. Cela m’a également permis de travailler sur le passage à l’acte lié à cette haine, envers les autres, mais bien souvent envers moi-même.

Le retournement de la haine contre son propre corps

« La haine de l’autre peut, par un processus d’identification et de retournement des pulsions agressives sur le Moi, s’adresser à l’être lui-même. »[3]

C’est ce dont j’ai pu m’apercevoir par moi-même grâce à l’association libre : cette haine que je ressentais envers les autres, pour passer inaperçue, se retournait contre mon propre corps. Ainsi, lorsque quelqu’un m’énervait, j’avais besoin de fumer une cigarette. Depuis, j’ai troqué ce besoin par celui de « croquer » rapidement dans un (même plusieurs !) aliment. Ces actions répétées et incontrôlées ont des effets néfastes pour le corps et pour le psychisme, autrement dit pour soi-même. Grâce à cet habile déplacement, mon Moi restait protégé : j’étais toujours cette « gentille fille ». Je n’agressais personne avec ma haine, j’avais « seulement » des addictions.

La psychanalyse, en dégonflant mon imaginaire, m’a permis de prendre conscience de cet « arrangement interne » et d’accepter de ressentir des émotions ignorées, car elles ne collaient pas avec l’image que je me renvoyais (et que je renvoyais au reste du monde). Ensuite, le passage à l’acte auto-agressif, dont j’usais habituellement, s’est vu remplacé par une première mise en mots, suivie d’innombrables, qui, en dehors de la cure, m’ont permis de mieux communiquer avec l’autre, à propos des raisons de cette haine, à présent assumée et dépassée.


[1] Freud, S. (1910). Cinq leçons sur la psychanalyse, Paris, Petite Bibliothèque Payot, 2010, pp. 51‑52.
[2] Freud, S. (1895). « Études sur l’hystérie », in Œuvres Complètes, Vol. II, Paris, PUF, 2009, p. 301.
[3] Amorim (de), F. « La haine », in Amorim (de), F. (Dir). Manuel clinique de psychanalyse, Paris, RPH-Éditions, 2023, p. 175.

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