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Mise au point Et si au lieu de rembourser on se décidait d’arrêter de charger la mule ?

Mise au point

Et si au lieu de rembourser on se décidait d’arrêter de charger la mule ?

(Réaction au magazine)

 

Fernando de Amorim

Paris, le 31 août 2018

Une bonne manière d’entrer dans un débat c’est, me semble-t-il, lui donner une connotation humoristique. Dans Le Point du 30 août 2018, un encart signé de Pierre-Henri Allain où il propose le remboursement des psychologues. Citoyen lambda, mais responsable d’une école de psychanalyse, le RPH – Réseau pour a psychanalyse à l’hôpital –, et directeur de la CPP-Paris IXe, j’aimerais dire que sa proposition est typique des personnes qui ne comptent pas les sous. Les français se noient sous les charges et depuis 1991 – année de la création, dans le service de mes estimés patrons, le Professeur Loïc Guillevin et le Professeur Philippe Casassus, de la première CPP, à l’hôpital Avicenne (AP-HP) – je m’inquiétais, comme tant d’autres, des dépenses de santé dans le Pays. Le moment où j’ai appris la mise en place de l’expérience évoquée par Monsieur Allain – remboursement des vingt séances chez les psychologues dans le Morbihan, la Haute-Garonne, les Bouches-du-Rhône et les Landes pendant trois ans par les caisses primaires d’assurance-maladie – j’avais déjà signalé que cette expérience n’habillera pas Paul et laissera Pierre nu. En somme, les deux seront dépourvus car dans cette opération la société paye toujours, les psychologues n’y trouveront pas leur dignité clinique ni une assise financière, enfin, les patients vont avoir vingt séances remboursées par l’Autre social. Et après ? Retour à la case-départ car, sans une vraie psychothérapie, le symptôme reviendra. C’est sa nature.

La clinique n’est pas affaire de diplôme. Même s’il est nécessaire, et essentiel, ce n’est pas le diplôme de psychologue ou de psychiatre qui habilite quelqu’un à assurer des psychothérapies. C’est la clinique quotidienne qui forge un clinicien. Or, en France, nous avons une armada de ventre mou, habillés de diplômes de psychologues cliniciens et qui, face à Monsieur Dupont – triste, au chômage, cocu, suicidaire – ne sont pas formés à savoir par quel bout prendre la plainte pour mener à bien la cure pour que ledit Monsieur puisse sortir de cette mauvaise passe inévitable dans une existence humaine. Que les consultations, médicales, des psychiatres soient remboursées, rien plus légitime. Qu’ils assurent de, soi-disant, psychothérapie ou même psychanalyse, tout en rédigeant des feuilles de soin, c’est une absurdité clinique. Ils le savent. Ils gagnent des sous, le patient des miettes, la société perd.

Depuis 1991, j’engage des étudiants désireux de devenir des cliniciens en psychothérapie et psychanalyse. Ils reçoivent des patients qui payent des sommes symboliques tout en continuant leur cursus universitaire et surtout en étudiant Freud et Lacan. Aucun suicide jusqu’à présent – et je ne touche pas du bois car la clinique ne tolère ni superstition ni tricherie –, une diminution évidente de prise de médicaments, d’hospitalisations et des arrêt-maladie. Cette expérience est menée sans un seul centime du contribuable ou d’un quelconque ministère. Que du désir des jeunes français. Qu’ils en soient ici remerciés.

Diplômés, les étudiants quittent la CPP et s’installent en tant que cliniciens dans le libéral et gagnent correctement leurs vies. Et c’est normal, ils sont de vrais cliniciens. La compétence est une construction désirante et non une lutte syndicale. Si, selon l’encart, 360 psychologues se sont inscrits dans cette expérience, c’est parce qu’ils n’ont pas de travail, et ils ont raison de saisir cette aubaine qui est préférable à avoir un patchwork de quart temps, tiers-temps ou mi-temps, dans le meilleur des cas, ou de travailler comme secrétaire, vendeuse ou chauffeur. Nos jeunes psy sont formés pour le chômage, et cela me déplaît.

Comment garder des jeunes gens, dans la période de leur vie où leur libido dégouline par les oreilles, dans les universités de psychologie et de psychiatrie pendant cinq à douze ans pendant qu’au même moment une partie importante de la population nécessite une écoute qui, bien conduite, pourra changer un avenir ?

Proposé pour traiter la dépression, le remboursement des psychologues est un gaspillage en La mineur. Je suis pour la défense de notre système de santé et notre couverture sociale. Or, cette proposition des CPAM propose des économies de peu d’importance et surtout de manière fugace.

Soyons plus ambitieux. La société se doit de porter de l’aide financière aux maladies organiques. Un patient qui est atteint d’un cancer mérite, dans une société civilisée comme la nôtre, que toute la population puisse contribuer à son traitement. En revanche, il est notoire cliniquement que quelqu’un qui souffre psychiquement nécessite d’assumer une part de responsabilité dans le traitement qui est le sien. Cela du côté du patient. Maintenant du côté du psy : le fait même qu’un praticien soit remboursé, ne va pas l’engager à assurer un travail de qualité, car il sait que s’il opère de manière compétente ou de manière médiocre il sera rémunéré à la fin du mois. Depuis presque trente ans je crie au loup à ce sujet, mais comme je ne suis pas berger mais clinicien, probablement ne sais-je pas bien comment le dire. Et pourtant, actuellement il existe plusieurs CPP à Paris et en région parisienne, la dernière-née pointera son nez fin septembre à Créteil. Dans ces CPP, l’étudiant est en formation clinique avec un superviseur en même temps qu’il fréquente l’université. Dans la CPP, le clinicien est payé selon les moyens du patient.

Le jeune étudiant devenu jeune diplômé continue à recevoir des personnes moins favorisées financièrement dans une sorte d’engagement avec a) le souhait de Freud qui, en 1918, s’inquiétait de ce que les psychanalystes ne pouvaient accueillir que peu de patients pauvres, b) une tradition médicale hippocratique, c) une sorte de remerciement à la société française qui a payé ses études, et enfin, d) avec la psychanalyse qui lui a révélé l’existence du désir et la construction possible d’une vie viable car vivable.

Concrètement, les membres du RPH montrent qu’il est possible de mettre en place des CPP, ayant pour but, non pas des remboursements, mais la construction d’une dignité.

Diminuer les prises de médicaments, d’hospitalisations, d’arrêt de travail et de l’autre côté, former des cliniciens de qualité comme le font discrètement les psychanalystes engagés avec la société, c’est ce que font les psychanalystes français dans le silence, et la discrétion de leur cabinet. Ne nourrissez pas une clinique au rabais qui n’a de clinique que le nom.