Passe externe et passe interne
Sara Dangréaux
À Paris, le 25 février 2024
La dernière brève proposée par Fernando de Amorim, intitulée De la place de l’analyste à la position de psychanalyste[1], m’a donné l’impulsion pour présenter une articulation de mon expérience de la passe externe et la passe interne[2].
Lors du témoignage de ma sortie de psychanalyse, appelée passe interne au RPH, Nazyk Faugeras a posé la question suivante : « Est-ce que ça a changé quelque chose pour toi dans ta psychanalyse d’être devenue psychanalyste ? » Sur le moment, j’ai répondu : « C’est une très bonne question. Peut-être mais je ne saurais pas le formuler. »
Lorsque la réunion fut terminée et que le cours de la vie a repris, la question de Nazyk Faugeras et celle de Diane Merakeb, relative au moment où je datais ma sortie de psychanalyse, sont deux questions qui me sont restées à l’esprit. J’avais répondu à Diane Merakeb en indiquant que je datais ma sortie de psychanalyse à décembre 2023. Cette date correspond au moment où, sur le divan, j’ai nommé clairement ma sortie de psychanalyse et que je souhaitais témoigner dans le cadre de la passe interne. Cette date compte puisqu’elle signe cette autorisation, pour moi-même, à assumer une position de sujet.
Au sein du RPH, la sortie de psychanalyse est indiquée par la traversée d’au moins un fantasme originaire et le règlement des symptômes d’entrée de la cure[3] ; à ce moment-là, le supposé-psychanalyste de cette psychanalyse occupe la place du mort. La cure se poursuit jusqu’à ce que l’accostage soit effectif et que l’heure des rendez‑vous psychanalytiques ne soit plus ; elle se poursuit au‑delà pour le clinicien en exercice. Dans l’après‑coup de la réunion, je me suis fait la réflexion que la date de ce que j’ai repéré comme traversée du fantasme originaire et la reconnaissance du règlement de mes symptômes, mais surtout cette chute d’un rapport à un Autre non barré, fut antérieure à décembre. Cela date de la période où j’ai présenté une passe externe attestée.
Ce dont je peux témoigner, en écho à la question de Nazyk Faugeras, c’est que l’avancée de ma psychanalyse personnelle a certainement produit un effet sur mon positionnement de clinicienne ; plus de souplesse dans mon écoute, car moins prise dans des attentes moïques, donc davantage dans une possibilité d’être enseignée. D’être reconnue psychanalyste de l’École a certainement fait avancer ma psychanalyse personnelle, m’inscrivant symboliquement dans la voie de mon désir et venant l’alimenter d’autant.
Longtemps prise dans une allégeance de faire tenir un Autre non barré, une parole d’absolue vérité, je me suis désengagée de cette allégeance moïque, qui permet de se cacher derrière cet Autre mais assigne inéluctablement à la souffrance d’une quête impossible. C’est la possibilité du choix qui a émergé, là où je me positionnais sous le choix de l’Autre. C’est une autre manière de formuler, avec mes mots, l’aliénation à la demande de l’Autre. Je pense que la castration symbolique du Moi du supposé-psychanalyste facilite le travail du psychanalysant et la position du clinicien, non plus aliéné aux décisions moïques, fluidifie la clinique.
Monsieur de Amorim propose une avancée au sein de l’École de psychanalyse qu’est le RPH, en formulant que « le supposé-psychanalyste devient psychanalyste à deux conditions »[4] : la passe externe et la passe interne.
À la suite de ma passe interne, ce dernier m’a adressé une parole, que je vous partage : « Tirez toujours vers le haut, toujours ».
Cette formule, je l’entends comme invitation venant du grand Autre barré et non injonction du grand Autre. Je le précise, car elle peut être prise comme telle sous le prisme d’un Moi aliéné aux organisations intramoïques. Par le passé, j’ai pu prendre certaines paroles sous ce prisme d’une injonction ou d’une punition et non d’une invitation salutaire, mais c’est ce que permet une psychanalyse : que l’être castré puisse s’engager avec le grand Autre barré pour venir nourrir sa position de sujet. Cette position n’est pas figée, elle n’est pas pérenne sans le concours de l’être et son choix de s’engager avec l’Autre barré.
Ainsi, j’entends cette proposition du président de l’École, d’une position de psychanalyste se soutenant de la sortie de psychanalyse d’un psychanalysant reçu, de la présentation de sa propre sortie de psychanalyse et de la poursuite de sa cure personnelle, comme cette invitation à toujours tirer vers le haut. La passe externe permet au clinicien de faire usage du signifiant psychanalyste pour se présenter dans la société et atteste du fruit de son engagement clinique. Et pour occuper cette position de psychanalyste et assumer l’engagement qui y est associé, de servir la psychanalyse scientifiquement et non plus de servir un maître ou de se battre avec lui, de construire sa subjectivité jusqu’à occuper une position de sujet est un support qui compte. Cela permet, par la castration du Moi, d’occuper une position d’humilité qui facilite la mise au travail, puisque la visée demeure celle de tirer vers le haut et non de se croire arrivé. Ainsi, l’humilité permet de grandir, là où le Moi ne fait que grossir et empêcher.
La passe externe, que j’avais présentée, fut un moment heureux, mais je remets quotidiennement cette position de supposé-psychanalyste au travail, travail de ne pas trop parler, de parler quand nécessaire, pour la conduite des cures, puisque les psychanalysants sur le divan n’ont finalement que faire de la passe que j’ai présentée. Chaque cure compte pour une, c’est cela aussi la clinique du sujet. Ma passe interne fut aussi un moment heureux, mais elle n’est pas gage de l’avenir et charge à moi de poursuivre dans cette voie, c’est-à-dire simplement de travailler. Simplement, puisque désormais cette charge n’est pas un poids mais la possibilité d’assumer mon désir, par exemple en écrivant au moment où les idées me viennent sans remettre l’ouvrage à plus tard.
Ma sortie de psychanalyse soutient ma position de psychanalyste en permettant que j’aligne mes actes et mon désir. Ce n’est pas parfait, ce n’est pas sans mouvement de résistance mais je le repère sans venir le nourrir ou m’accabler, ce qui me permet de travailler plus simplement à aller vers le mieux. Ma psychanalyse personnelle, que je poursuis, œuvre dans cette direction d’alimenter un choix et c’est là que j’y entends une éthique du sujet ; la route n’est pas tracée, du fait d’être reconnu sujet, ou psychanalyste, mais un sujet peut nourrir son choix « de construire sa responsabilité de conduire aussi sa destinée »[5]. Penser que la position de sujet serait une place figée viendrait nourrir l’illusion que ce qui est fait est immuable, illusion car ce serait sans compter avec la konstante Kraft freudienne.
[1] Amorim (de), F. (2024). De la place de l’analyste à la position de psychanalyste, consulté le 25 février 2024.
[2] Amorim (de), F. (Dir.). Manuel clinique de psychanalyse, Paris, RPH-Éditions, 2023, pp.32-5.
[3] Ibid., p. 224.
[4] Amorim (de), F. (2024). De la place de l’analyste à la position de psychanalyste, op. cit.
[5] Amorim de, F. (2024). Aux responsables des institutions psychanalytiques, consulté le 25 février 2024.