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Pour une psychiatrie française

Autrement dit : pour une psychiatrie en partenariat avec le psychanalyste

Fernando de Amorim
Paris, 24 avril 2025

Il existe un phénomène clinique très intéressant que je souhaite partager à partir d’un entretien de la journaliste Lilas Pepy avec la psychiatre Maeva Musso paru dans Le Monde du 23 avril 2025.

Il y a fort longtemps, j’avais remarqué qu’un patient, qui avait été adressé par son psychiatre à la CPP – Consultation Publique de Psychanalyse – et qui commençait une psychothérapie, arrivait à un tel apaisement, voire une amélioration, que le médecin diminuait le traitement jusqu’à le supprimer, en attestant que, pour lui, ce patient était guéri.

Le psychotrope a fonction de camisole de force chimique. Il contient, il ne soigne pas. Soigner, c’est lorsque l’être retourne au travail, à l’amour, à la construction, à l’indépendance. La psychiatrie ne peut pas proposer un tel projet ; le psychanalyste, lui, travaille pour cela. Quand je propose aux psychiatres d’instaurer une clinique du partenariat avec le RPH – Réseau pour la Psychanalyse à l’Hôpital – École de psychanalyse – c’est pour officialiser ce qui se passe déjà de manière officieuse depuis des décennies : quand les patients des psychiatres s’engagent avec une psychothérapie conduite par un psychanalyste, ils vont mieux quelques mois plus tard et c’est cela qui pousse le psychiatre, en vrai clinicien, à diminuer voire arrêter le traitement car, pour lui, comme signalé plus haut, le patient est guéri. Pour le psychanalyste, le patient n’est pas guéri, mais il est en bonne voie pour la construction de sa subjectivité, voire de sa position de sujet.

Le projet du psychanalyste est possible grâce à la prescription psychiatrique, prescription qui a contenu la tempête – hallucination, délire – car, en cas de trop d’agitation, il faut contenir le Moi sinon il panique et saute, l’autre nom du passage à l’acte. À aucun moment le signifiant, la parole, le transfert, ne peut contenir une agitation excessive. Ainsi, pas de clinique mentale sans psychiatre. J’ajoute : ni sans psychanalyste.

L’activité clinique de psychiatre, sans une articulation serrée avec un psychanalyste, est une absurdité clinique. Pour cette raison, j’estime que le projet du docteur Musso est à prendre très au sérieux par tous les acteurs cliniques : psychiatres, psychanalystes, universitaires (ceux qui forment les psychiatres et les psychologues désireux de devenir psychanalystes), les proches et, bien évidemment, les patients. Sans l’accord de ces derniers, le projet coule.

Mettre le patient au centre du dispositif est le cœur même de la clinique française, européenne, et cela depuis les premiers aliénistes. Je n’ai pas caché ma joie à lire le nom de Pinel dans les mots de madame Musso. Le DSM n’a pas compris que la clinique psychiatrique ne peut pas se donner le luxe d’exclure un projet de subjectivité du patient psychiatrique que la pudeur mielleuse, et pour cela fausse, baptise du nom d’« usager ». Avec des arrangements mous, tel usager, tel Tapering strip, mais sans une prise en charge psychothérapeutique du psychanalyste en partenariat avec le psychiatre et le patient, le projet DSM tire au quotidien la psychiatrie et le psychiatre vers la débâcle clinique, théorique, épistémologique.

Encore un mot sur le Tapering strip : certes, le « savoir expérimental est fondamental », mais plus fondamental encore est le savoir expérimental du patient avec le psychanalyste. Le savoir expérimental du scientifique, c’est de la connaissance propre au Moi ; avec le psychanalyste, l’être du patient construit un vrai savoir, celui de sa subjectivité, voire celui de sa position de sujet.

Viser à sevrer progressivement, c’est bien. Et puis ? Si le patient se retrouve sans rien, le Moi risque d’être envahi par ses organisations intramoïques, à savoir l’Autre non barré et la résistance du Surmoi. Le médicament n’est pas seulement une camisole de force pour le patient, il est aussi une camisole de force qui protège le Moi de la panique à répondre aux injonctions de l’Autre non barré (« saute ! »), mais aussi des attaques de la résistance du Surmoi qui peuvent pousser le Moi à sauter. Ce dernier finit par sauter pour éviter les incessants raz-de-marée de ladite résistance du Surmoi.

Dans cet article, j’apprends que la psychiatre Musso ouvrira bientôt une « consultation consacrée à l’optimisation médicamenteuse des troubles psychiques ». L’idée est excellente. Cependant, j’attire l’attention sur le fait que cette optimisation pourra rencontrer des difficultés. Bien entendu, il faut sevrer les patients des doses commerciales et non thérapeutiques de médicaments, mais sans oublier – c’est ici qu’entre en scène le psychanalyste – la construction d’une voie pour que la libido qui nourrissait le symptôme, la souffrance, la maladie, construise à son tour une voie de sublimation, voire de Durcharbeitung. Il faut prendre en compte qu’avec la suppression du médicament, cette consultation pourra servir à renforcer le Moi, voire ouvrir la voie au passage à l’acte, mais n’aidera pas l’être à construire sa position de sujet. Une telle construction se fait avec un psychanalyste.

Qu’une expérience prenne l’eau – même si madame Musso se dit « optimiste pour la suite » – n’est pas, en soi, un problème. Les bateaux des premiers navigateurs prenaient le large avec un marin qui avait pour fonction d’écoper l’eau dans la cale ; que le lecteur n’oublie pas que la grande majorité des marins à l’époque ne savait pas nager. Prendre un bateau qui fait eau sans savoir nager, est-ce une forme de suicide ? Non, c’est la preuve que le désir de l’Autre peut aveugler le Moi. Il faut donc que, cliniquement, un travail de partenariat – clinique du partenariat entre psychiatre, patient, psychanalyste – soit pensé et mis en place. Que dans la pratique – tel est mon désir – le psychiatre puisse ne pas avoir peur de monter à bord ou d’inviter le patient à monter à bord du bateau psychanalyse. Ledit bateau fait eau avant de quitter le port et cela depuis Freud, mais ce n’est pas parce qu’il n’est pas étanche qu’il ne peut pas assurer la traversée de la Mer Océane, l’autre nom de l’inconscient, par l’être dans la position de malade, de patient ou de psychanalysant vers un bon port où il pourra devenir sujet, avec ou sans médicament.

Je propose que les psychanalystes du RPH s’approchent de cette expérience et se mettent à la disposition de ce beau projet. Si madame le docteur Musso est d’accord. Cela va de soi.