Jean-Baptiste Legouis
Paris le 06 juillet 2017
« L’expérience nous a enseigné que la thérapie psychanalytique, la libération d’un être humain de ses symptômes névrotiques, inhibitions et anomalies de caractère, est un travail de longue haleine. C’est pourquoi, dès les tout débuts, des tentatives ont été entreprises pour raccourcir la durée des analyses. »1 C’est par ces mots que Sigmund Freud commence son article de 1937 « L’analyse finie et l’analyse infinie ». Nous voyons là que la question de la durée d’une psychanalyse ne préoccupe pas seulement les patients et les psychanalysants, mais également les psychanalystes, et ce, depuis le commencement.
Il m’est arrivé régulièrement d’entendre des patient(e)s dirent au début d’une psychothérapie : « Je veux régler mes problèmes, mais je ne veux pas y passer des années et des années. ». Un psychanalysant a dit récemment : « La première fois que je suis venu, je n’aurais jamais imaginé être encore là neuf ans plus tard. ». Nous pouvons y voir l’un des nombreux effets de surprise qui jalonnent une psychanalyse.
Une psychanalyse est-elle longue ? La question de la durée est toujours relative. Il y a des secondes qui paraissent durer très longtemps, dans des situations de danger en particulier, et des années qui s’écoulent sans qu’on s’en rende compte et qui nous font dire incrédules « Cela s’est passé il y a cinq ans, déjà ! ». Plusieurs années, un lustre, une décennie ou plus, est-ce long ? Cela peut sembler long à une partie du moi qui chronomètre, qui minute, qui compte. Ça n’a pas de sens pour l’inconscient qui ne connait pas le temps.
Une psychanalyse n’est pas un programme d’apprentissage scolaire qui demande aux enseignants de transmettre une certaine quantité de connaissance à des élèves en un certain nombre d’heures. Le déroulement d’une psychanalyse ne suit pas une jolie courbe linéaire d’acquisition d’un savoir ou d’un savoir-faire telle qu’on peut en voir dans les livrets d’apprentissage et d’évaluation du permis de conduire.
L’appareil psychique d’un individu a mis des années à se mettre en place et à se consolider. Atteindre le cœur de cette organisation psychique demande du temps, d’autant plus que l’être est structurellement ambivalent. Une partie de lui veut arrêter de souffrir lorsqu’une autre est terrifiée par le changement et ne veut surtout pas savoir. C’est ainsi que se manifestent, tout au long d’une psychanalyse, les cinq résistances mises en avant par Freud. Réduire ces résistances pour permettre une fluidification du fonctionnement psychique n’est pas simplement une question de volonté. Quelque chose échappe à l’être en souffrance qui lui fait dire, régulièrement : « C’est plus fort que moi. », et, ni lui, ni le clinicien n’ont la maîtrise temporelle du processus. Ce sont, principalement, des éléments du discours qui nous indiqueront que nous sommes sur la bonne voie. Jusqu’au jour où, chemin faisant, la sortie de la cure apparaitra au psychanalysant, comme une évidence.
Il y a un point, qui n’est généralement pas mis en avant par les psychanalystes, qu’il me parait important d’aborder pour finir. Il n’est pas rare que des patients et psychanalysants puissent constater rapidement des effets thérapeutiques dans leur cure. Il arrive même qu’ils en témoignent dès la seconde séance. Un patient venu me voir récemment dans une situation de deuil difficile me dit, au début de la deuxième séance : « Ça m’a fait un bien fou de vous parler la dernière fois. J’ai pu vous dire des choses que j’avais sur le cœur et que je n’avais jamais dites à personne. ». Souvent, au bout de quelques semaines ou quelques mois, les patients remarquent des changements dans leurs attitudes, leurs relations, leurs positionnements, leurs réactions. De ce point de vu, nous n’avons rien à envier aux thérapies dites « brèves ».
Nous savons que c’est la rencontre de l’être avec son désir de savoir qui le pousse à aller au-delà des bénéfices psychothérapeutiques et à se lancer dans la traversée d’une psychanalyse, et, à ce moment-là, nous savons également que le temps que ça prendra lui importe peu.
1 Freud. S., 1937, L’analyse finie et l’analyse infinie, in Œuvres complètes vol XX, PUF, Paris, 2010, p.17