en complément de la brève Fantasme originaire, fantasme fondamental et fantasme œdipien du 23 novembre 2024
Marine Bontemps
Paris, le 26 novembre 2024
Marine Bontemps : Dans votre brève, vous parlez de la traversée des fantasmes fondamentaux et de la chute de leurs objets, objet a, ainsi que du passage de la présence du -φ à la construction du Φ. C’est une construction de l’être. Concerne-t-elle la traversée du fantasme fondamental ? Peut-on dire que c’est à partir de la chute des objets a que le -φ laisse une place libre ? Puisqu’il est évacué ?
Fernando de Amorim : Ce n’est pas tout à fait évacué. Mon idée, c’est que Lacan démontre ça, mais il y a toujours le problème de l’abandon de sa psychanalyse. Effectivement, je reconnais en tant que psychanalysant la présence du -φ quand je m’engage de manière imaginaire avec les objets. Une fois qu’il y a la traversée des objets fondamentaux, à ce moment-là il y a la sortie de l’analyse. Ça, c’est la visée de Lacan : je suis analysant, je deviens analyste. Non, ça ne va pas du tout. En fait, c’est : « je croyais aux objets fondamentaux, j’étais dans une logique du φ. » Le -φ, c’est la perte de cette croyance imaginaire… il y a une espèce de diminution. C’est du moins. Mais le moins, ce n’est pas le rien. Lacan abandonne le rien, je le récupère. C’est ça mon interprétation. Il y a le φ, il propose le -φ et ensuite, du -φ il y a une traversée des fantasmes fondamentaux et, à ce moment-là, l’analysant devient analyste. Je dis non, ça ne va pas du tout.
Ma version, c’est qu’il y a le φ, il y a le processus du -φ, une chute de cette croyance imaginaire, il y a une traversée des objets fondamentaux, mais je continue mon travail : je suis confronté à une position de sujet où il n’y a rien. À partir de ce rien-là, je vais construire un objet pour m’appuyer, parce qu’en tant qu’être humain j’ai besoin de m’appuyer sur quelque chose, mais pas sur un objet imaginaire, sur un objet symbolique : je vais m’accrocher au signifiant puisque j’ai devant moi rien. Ce rien-là me rappelle ma position d’être qui naît et qui n’a pas de rapport avec l’autre ; l’autre a un rapport avec moi-même, moi je n’ai pas un rapport avec l’autre. Je suis là, bouche ouverte, donne-moi à boire, donne-moi à manger. Je fais un travail physiologique : je pisse, je chie. Et l’autre vient, avec beaucoup de bienveillance, m’aider à me nourrir, à me nettoyer, etc. Au moment où je deviens sujet, je suis dépouillé, et ça me rappelle ce Rien-là, que je viens de décrire. À partir de là, je vais construire un objet – je l’ai appelé objet rien parce que devant moi, il n’y a rien – et à partir de cet objet rien, je veux construire une éthique : je ne veux plus être dans une relation imaginaire, je ne veux plus donner au Moi la responsabilité et le droit de décider ce que je vais faire dans cette position qui est la mienne, celle du sujet. Cette position de sujet se caractérise par la construction d’une responsabilité – c’est ça l’éthique – de conduire aussi sa destinée. À partir de là, je ne suis plus dans une position d’être biologique ; je reconnais cette position, mais à partir de cette deuxième naissance, je m’engage à faire en sorte qu’en tant que sujet je puisse être plus ami avec moi même, avec mon corps, avec autrui. L’autrui, c’est pioché chez Lacan, dans ma relecture des Complexes familiaux (1936).
MB : La construction du Phallus symbolique (Φ), est-ce après ? Ou c’est ce qui se construit au cours de la psychanalyse ?
FdeA : C’est une fois que je traverse la mer d’Œdipe. Je commence à avoir une certaine consistance dans mon discours – on repère ça. Une fois que je laisse les oripeaux familiaux, je commence à être en désaccord avec mes parents, à ne pas répondre aux fausses amitiés, aux faux projets. C’est cette construction-là. Ce qui va caractériser la construction du Phallus symbolique, c’est une relation qui commence après la sortie de la mer d’Œdipe – le rassemblement d’un Φ – mais qui se matérialise à la sortie de ma psychanalyse, une fois que je suis dans la position de sujet.
MB : Dans la réunion de mercredi [qui mettait au travail Fernando de Amorim, Marine Bontemps, Sara Dangréaux et Ouarda Ferlicot], vous avez dit « la psychanalyse concerne le rapport que j’ai avec le a’ ». Après, en découlent des implications « sur le rapport que j’ai à mon corps, au corps de l’autre, à autrui ». Vous mettez l’accent sur le rapport avec le a’ et je me demandais : est-ce que ce rapport inclut le rapport avec le grand Autre non barré (A) ? Dans le tableau des fantasmes, le rapport au grand Autre n’apparaît pas.
FdeA : C’est vrai… Pour quelles raisons évoquer le grand Autre ici, puisqu’ici on parle d’objets et de fantasmes ?
MB : J’ai dans l’idée que l’objet a, il a une fonction dans ce rapport au grand A non barré. Le fantasme, il fait consister le grand Autre non barré.
FdeA : Non, non. Notre étude, elle porte sur a-a’, on n’a pas à se mêler du Ça, du Surmoi, du A non barré, de la résistance du Surmoi, non. Nous avons isolé un champ bien précis de l’appareil psychique pour étudier ce qui est ici, entre a-a’. Je pourrais faire une distinction jusqu’au corps (a’’), jusqu’à autrui (a’’’). Nous avons isolé : c’est un travail d’anatomie ; même pas, d’histologie. On est en train d’étudier a-a’ et vous êtes en train de rajouter des choses. Non. On se limite à la limite de notre étude, qui concerne fantasmes œdipien, fondamental et originaire.
MB : Et le grand Autre, il n’a pas fonction ici ?
FdeA : Mais bien sûr qu’il a ! Mais le Ça aussi, le Surmoi aussi, le corps aussi, l’autrui aussi. C’est ça votre difficulté. Nous ne sommes pas en train d’étudier ça. Là, c’est une absence de méthodologie. De ne pas isoler. On n’est pas en train d’étudier tout l’appareil psychique, nous avons dégagé a-a’ et nous sommes en train d’étudier ça. Objet et fantasme.
Le fantasme, c’est ce que le Moi va élaborer pour être dans une relation avec l’objet originaire, avec papa et maman – ça, c’est œdipien – et avec les objets fondamentaux. Ces objets que j’ai utilisé à un moment bien précis de ma vie… où j’avais faim et on m’a donné… un sein. Quand j’étais seul, un regard est venu m’accompagner et m’apaiser. Ça se limite à ça, a-a’. En sachant que le Moi, c’est déjà la conséquence. L’être n’apparaît pas non plus, d’ailleurs. Il est là, perdu, il n’y a rien, il va se dépatouiller avec les signifiants, les sons, les odeurs, les regards qui passent et il va constituer une sorte d’ambassadeur, son ambassadeur, qui est le Moi, et ce Moi va prendre les choses en main et représenter le pays, c’est-à-dire l’être.
À partir de là, le Moi va avoir une relation avec un objet originaire qui est déjà inexistant – si le Moi est là, c’est parce qu’il a déjà vécu le Rien et il a trouvé la solution en construisant le Moi. Ensuite, ce Moi, il sera articulé avec un a’ qui va représenter la relation avec celui qui donne à manger et celui qui impose une loi pour que je puisse devenir grand, devenir adulte probablement… ou pas, et ensuite, quand je rentre en psychanalyse, ce a va se confronter une autre fois à ce moment de ma vie où il n’y avait rien et où il a été obligé de construire le Moi, mais là l’être est appelé à participer de cette conversation. Cet être (. :∙) va venir dans les frontières du grand Autre barré (Ⱥ), nu, dépouillé, et il va voler des signifiants et il va commencer à être (e). Là, on peut parler d’un Φ.
MB : … et de cette manière, il rompt le rapport a-a’.
FdeA : Il rompt le rapport a-a’.
MB : a’ désigne les objets : objet originaire, objets fondamentaux, objets œdipiens.
FdeA : Oui. Je vous remercie. Il faut me cuisiner mais sérieusement, avec des arguments. « Lacan a dit ça », je déteste cette formule. « Lacan a dit ceci, Freud a dit cela. » Mais ils sont morts ! Je suis un psychanalysant. Freud n’a pas été en psychanalyse, il ne pouvait pas. Lacan a abandonné la sienne. Moi, je continue la mienne. À partir de là, j’ai gagné l’autorité et un statut d’examiner leur théorie. Si ça case avec la clinique, youpi. Sinon, si ça ne marche pas, ça dégage. Une fois que j’ai traversé ma psychanalyse, je veux être dans un truc cohérent.
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