Billet quatre :Monsieur le Président ?
Fernando de Amorim
Paris, le 14. III. 2012
Un collègue enflammé, très enflammé, m’a tenu les propos suivants : « Sarkozy méprise la santé mentale des français ! »
Il est vrai que j’ai envoyé, à plusieurs reprises, à Monsieur Copé et à Madame Kosciusko-Morizet une invitation pour participer à la réunion sur la santé mentale organisée le Jeudi 5 avril 2012 à l’espace Saint Sulpice, 26 bis rue Cassette, de 21h à 23h 30, dans le VIe arrondissement de la capitale sans qu’aucun ne se manifeste.
Pour quelles raisons ? Le mépris comme l’a signalé mon collègue psychiatre ? Oubli ? Débordement ? Malentendu ? Comment interpréter un tel silence ?
Il est vrai que l’actuel Président n’a pas répondu à l’invitation du RPH d’installer des consultations publiques dans les locaux des mairies et autres bâtiments publics, consultations assurées par des étudiants et adressées à la population ayant des difficultés financières, alors qu’il répond et très efficacement à la proposition de faire de la criminologie une discipline universitaire, scientifique donc, si l’on en croit l’article publié dans « Le Monde » de ce mercredi 14 mars.
Ainsi, d’un côté, nous avons des jeunes diplômés sans travail puisque sans formation clinique solide, une population souffrant mentalement d’être exclue du tissu social, des professionnels de la santé mentale compétents et disposés à accompagner cette jeunesse vers les premiers pas dans le chemin de la professionnalisation, ce qui apaisera les esprits et permettra une vraie diminution de l’agressivité et de la violence et ouvrira les citoyens au monde du travail parce que, sans paix d’esprit on ne travaille pas bien, on n’aime pas et on ne voit que la mort comme perspective (« Le suicide, Une maladie française », Marianne du 10 mars 2012).
De l’autre, cette reconnaissance peu scrupuleuse du crime, en quelque sorte un pousse au crime, non pas parce qu’on étudiera la criminologie, mais parce qu’on néglige les gens, enfants, adolescents, adultes. On néglige les français.
Nous attendons toujours des responsables de la campagne de Monsieur Sarkozy qu’ils réagissent aux questions posées à tous les candidats et qui ont été publiées dans la brève n° 241, auxquelles la grande majorité des candidats ont déjà répondu. Qu’ils soient ici vivement remerciés.
Ajoutons la question suivante : la santé mentale, dans sa dimension préventive, intéresse-t-elle le candidat Sarkozy ou bien attend-il que le crime soit commis pour réagir dans l’urgence et vilipender la communauté des psychistes, discrète puisqu’au travail, mais pas du tout endormie? Loin de là.
Billet trois : Aux candidats à la présidentielle
Fernando de Amorim
Paris, le 8. III. 2012
La psychiatrie ce n’est pas la santé mentale. Elle en est un des piliers. Associer santé mentale et psychiatrie c’est exclure l’immense majorité des cliniciens qui assurent des psychothérapies.
Parler de « plan psychiatrie et santé mentale » ôte la possibilité aux psychanalystes – qui sont habilités à assurer des psychothérapies et les seuls à pouvoir assurer des psychanalyses – et aux psychologues qui travaillent dans les institutions et en libéral de faire entendre leurs propositions.
Un plan santé mentale doit être mis en place afin qu’enfin nous puissions faire usage de ce que nous avons de plus précieux pour la clinique, à savoir, les jeunes cliniciens.
Les étudiants ont l’obligation de faire des stages. Or, les stages proposés actuellement ne leur montrent pas ce qu’est véritablement la clinique car il s’agit avant tout de stages utiles à l’obtention du diplôme, non à construire leur métier, ce qui suppose – entre autres choses – d’aller jusqu’à leur retraite ou jusqu’à la fin de leur vie.
Un plan santé mentale, épaulé par l’Etat, doit créer des stages pour les étudiants dès les premières années de faculté de psychologie ou de médecine sans que cela coûte un cent au contribuable. De quelle manière ?
Les patients seront reçus par ces étudiants et ces étudiants percevront la moitié de ce que leur paieront les patients. Ces étudiants trouveront à établir leur légitimité à l’égard des patients par leur cure personnelle et la supervision.
Qu’un patient ne paye rien parce qu’aux prises avec une précarité sévère n’empêche en rien qu’il paye avec les paroles de ses associations libres (technique fondamentale pour la conduite de la cure). Il formera ainsi l’étudiant qui, en assurant sa position de clinicien, sera récompensé – payé – par ce patient lorsque celui-ci aura trouvé un travail. Il ne faut pas oublier que « quand ça ne va pas dans la tête, on n’a pas la tête à ça », comme disait un patient à propos du travail, mais cela peut être élargi à l’amour, à l’amitié, à la vie en société.
Nombreux sont les malades de psychiatrie qui se maintiennent la tête hors de l’eau parce que, à l’extérieur des hôpitaux, il y a des cliniciens qui les écoutent.
C’est lorsque la souffrance est excessive, que le filet de la parole ne parvient plus à contenir le poids de la détresse, que la psychiatrie, avec l’hospitalisation et les prescriptions médicales sont les thérapeutiques nécessaires.
Investissons dans la clinique par la parole soutenue par les jeunes cliniciens. C’est notre tradition.
Cet investissement sur la jeunesse étudiante est le seul qui offre ce retour juteux pour une société : parvenue jusqu’à la délivrance de son diplôme, cette jeunesse à l’œuvre a déjà constitué une patientèle et peut combiner à sa reconnaissance théorique la maturité professionnelle et n’a plus à hanter les jobs de serveur ou d’hôtesse d’accueil en attendant de trouver l’emploi qui fera d’eux des psychologues !
Ce programme de santé mentale est assuré dans un contrat entre la faculté (psychologie et psychiatrie), les associations de psychanalyste et l’État.
Cette proposition concerne uniquement la psychanalyse puisque, depuis 1908, c’est la psychanalyse et non d’autres disciplines psychothérapeutiques, qui s’est penché sur la santé mentale de la population.
Toutes les écoles de psychanalyse française – de Freud et de Lacan – ont cette préoccupation, chacune à sa manière, de permettre à celui qui est pauvre en argent et riche en désir, quand bien même ce dernier est tourmenté, d’accéder à la clinique de la parole. De là la création de la consultation de psychanalyse de la SPP, du RPH, de l’ECF.
La santé mentale est un des piliers de l’avenir économique de la société.
Billet deux : Aux candidats à la présidentielle
Fernando de Amorim
Paris, le 12. III. 2012
Il est de la plus haute importance que notre société puisse avoir des centres civils d’accueil des personnes qui veulent parler avec un psychiste.
Ces consultations auront lieu dans des endroits proches d’une faculté de psychologie ou de médecine, soit d’une mairie pour les localisations plus rurales.
Elle sera assurée par des étudiants sous la supervision des cliniciens aînés.
Il s’agit d’une politique de sectorisation qui ne concerne pas la seule psychiatrie, mais la santé mentale dans son ensemble.
Cette prise en charge permettra des séances de psychothérapie à proximité des populations.
Le système de mise en place est le même : l’état prête un lieu en rez-de-chaussée à une équipe (des étudiants et un professionnel) durant un an, après quoi, l’équipe payera une location (c’est à cela que sert la moitié de l’argent des consultations assurées par les étudiants). Une autre année après, l’Etat augmentera encore le prix du loyer jusqu’à parvenir, quelques années plus tard, au niveau du loyer au mètre carré dans le local où est implanté la consultation publique.
A la différence de la psychiatrie de secteur des années 60, l’avantage dans notre perspective est que ce sont les étudiants et les patients que seront au cœur de l’affaire et non les psychiatres uniquement.
Il s’agit d’une collaboration bien ficelée entre patients, étudiants, université et professionnels (psychanalystes, psychiatres, psychologues).
Il s’agit d’un pas en plus dans la sectorisation. Il faut investir dans la cure par la parole, dans la création, pour l’être, de sa position dans la Cité. Et cela ne se fait pas uniquement avec les médicaments, cela se fait surtout par une clinique de la parole bien-dite.
L’avantage aussi est que cela se fera sans que la société supporte seule le poids du traitement : le citoyen paye son traitement, selon ses moyens ; l’étudiant est formé par le discours du patient et affine son style par sa psychanalyse personnelle et les discussions au moment de supervisions.
Notre initiative vise à désengorger les CMP. Dans notre CPP (Consultation publique de psychanalyse) les piliers de l’édifice en sont le patient, l’étudiant et le superviseur.
Billet un : Aux candidats à l’élection présidentielle de 2012
Edith de Amorim – Fernando de Amorim
Monmartin le Haut, le 11. III. 2012
C’est dans la logique de la préparation du débat du 5 avril prochain – au 26 bis rue Cassette, dans le VIe arrondissement de Paris – que s’inscrivent ces billets, dont voici le premier, avec, pour fonction, de maintenir ouverte la réflexion sur une politique de santé mentale.
Ce ne sont pas des billets d’humeur mais bien plutôt des billets doux, au sens de l’Amour courtois avec, en guise de Dame de nos pensées, la santé mentale! Du désir et des contraintes donc !
En ces temps de tensions, d’urgences partout béantes, de dettes sisyphiennes que, désormais, nous ne pouvons plus défier, nier, tout au contraire puisqu’il nous faut y passer… à la caisse ! Ainsi, le contexte semble tout à fait propice à une politique d’austérité, autrement dit, à la Dracon !
Une politique sous la noire égide de la réduction des dépenses, toutes les dépenses, concentre toutes les probabilités d’aboutir à exposer la société dans son ensemble – et non plus seulement Billancourt – au désespoir ! Ce serait comme passer de la peau d’Amalthée à la peau de chagrin, d’un bouclier merveilleux et imaginaire, au roi nu !
La dette est là ! Or, elle nous arrache à notre quiétude gentillette, ôte nos œillères et nous jette au visage nos contradictions ; elle pourrait donc nous être d’une aide précieuse à nous sortir de notre aliénation imaginaire !
Se confronter à l’impossible, à l’empêcheur de jouir en rond, au réel, est toujours bénéfique pour l’être parlant, les psychanalystes en savent long là-dessus. Mais ce bénéfice ne s’atteint pas par les règles de calcul qui nous ont conduit à l’insondable de la dette ! Pourtant le réel reste toujours cet ennemi juré et nous voilà dans un « ta bourse ou ta vie » devenu l’idiome du système économique !
L’efficace d’un tel langage n’est en rien assuré car la bourse déliée pour effacer la dette au prix de la vie des systèmes de santé mentale, par exemple, c’est assurer un déficit plus abominable encore en matière de santé sociale, morale… et politique ! L’histoire est là qui nous fait à chaque fois la même démonstration de ce que le désespoir, l’acceptation d’une misère noire, le cynisme des nantis mènent au pire pour tous !
Au RPH, et depuis bien avant que l’on nous parle de l’affreux père Réel qui vient chercher nos sous pour les emporter loin de nous, nous avons mis en place une politique d’écoute de la souffrance d’où qu’elle vienne : la consultation publique de psychanalyse (CPP) accueille des patients à qui l’on propose des séances dont le prix est fixé en fonction de leur possibilités ; les consultations sont assurées par les étudiants membres du RPH qui sont évidemment en psychanalyse et qui – dès qu’ils commencent à recevoir – sont en supervision avec un aîné, membre clinicien. En aucun cas, il est demandé à l’Autre social – notamment par le biais du remboursement des séances par la sécurité sociale – de payer pour le désir du patient de s’en sortir.
En outre, ce processus permet de jeter une passerelle entre formation universitaire et pratique clinique professionnalisante. D’aucuns nous ont déjà fait remarquer que nous prenions des risques à confier à des jeunes étudiants non diplômés des patients : mais quels risques ? Ces jeunes étudiants au sein du RPH sont entourés de toutes les attentions cliniques : ils sont sur le divan, ils sont en supervision, ils participent aux réunions cliniques où se discutent les cas cliniques de chacun des membres cliniciens, ils sont en groupe de lecture… Quels risques courent-ils de plus qu’un jeune diplômé de psychologie qui se lance dans la pratique ?
Surtout, qu’on ne se méprenne pas : il n’y a là rien qui vaut pour un désengagement pur et simple de l’Etat dans la politique de santé mentale ; tout au contraire. C’est une invitation à investir autrement l’argent consacré à la santé mentale – on parle de cent sept milliards d’euros annuel tout de même. Car mettre de l’argent sans obtenir de résultat probant correspond bien à une dépense calamiteuse. Mais investir de l’argent dans une politique portant ses fruits d’insertion, de création, de joie ce n’est plus simplement un bon investissement, c’est une politique digne !