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Relation entre désir inconscient en psychanalyse et l’acte médical en médecine

Repenser la notion d’inutilité d’un acte médical

Fernando de Amorim (1)
Paris, le 01. I. 2011

Un acte médical inutile fait référence à toute opération chirurgicale petite ou lourde, qui n’est pas justifiée par des raisons strictement médicales. Dans son édition du mercredi 11 août 2010, « Le Figaro » publie un article du journaliste Olivier Auguste qui demande réflexion. Il sera très difficile pour la FHF (Fédération Hospitalière de France) de comprendre la raison pour laquelle, dans telle région française le taux d’interventions chirurgicales concernant par exemple le canal carpien, est élevé et est inférieur de moitié de cette moyenne dans une autre région, si on ne prend pas en considération : 1) le désir inconscient comme faisant partie de la demande d’intervention chirurgicale ; 2) le désir inconscient du chirurgien et 3) l’effet de contagion mentale (2).

Loin de nous l’idée que les actes médicaux inutiles sont des phénomènes « psychologiques » ou « psychosomatiques ». Le fait d’avoir vu des patients demander, insister, harceler, des chirurgiens pour être opérés car, selon eux, les praticiens avaient « oublié quelque chose » dans leur poignet, étaient « passés à côté de quelque chose » puisqu’ils ont toujours mal etc. nous indique, qu’il est très important que nous puissions examiner de très près ce qu’est un acte médical dit inutile.

Que le lecteur imagine un chirurgien, être humain de son état, être appelé quotidiennement, voire harcelé, par le patient. A un moment donné, le doute s’installe et le patient est réopéré.

La médecine française, en suivant la logique scientifique indiquée par la voie statistique, voie nécessaire, perd de plus en plus de sa subtilité, de sa finesse. D’où l’importance de la lecture clinique du cas par cas. Faire des économies est possible à la condition que nous mettions en place un dispositif thérapeutique où ces chirurgiens puissent compter avec les jeunes praticiens (issus des écoles de psychiatrie et de psychologie) désirant devenir des psychanalystes. La rencontre entre ces patients, parfois demandeurs gourmands d’interventions chirurgicales, et ces jeunes praticiens, peut nous apprendre beaucoup sur ce qui est au cœur de la demande en médecine en générale, en chirurgie en particulier.

Je laisse ici de côté, sans pour autant l’exclure de notre champ d’étude, la volonté de guérison du chirurgien, le bénéfice primaire et secondaire du patient de se faire opérer et autres variantes qui ne trouvent pas ici place à être évoquées.

Il n’existe pas d’acte médical inutile. Il existe une demande souffrante, il existe un appel à un Autre qui puisse entendre que « ça ne va pas ! » du coté du patient. Le symptôme, traitons l’« acte médical inutile » comme symptôme, ce symptôme exige notre attention clinique et non strictement statistique ou financière. Quand au sein de la CPP (Consultation publique de Psychanalyse – Paris IXe) nous demandons au patient de payer selon ses moyens, c’est pour nous une manière de l’engager dans la thérapeutique. Traiter gratuitement un malade atteint dans son organisme est un droit qu’une société civilisée doit offrir à ses membres, mais traiter un patient souffrant dans son corps gratuitement est une erreur clinique ayant des conséquences évidentes. Par exemple, la FHF relance ce que Monsieur Auguste appelle « un vieux combat ». C’est ça le symptôme porté par la pulsion : il insiste, persiste et ne désiste pas. Ce n’est pas l’acte médical en soi que j’interroge, je fais confiance à la décision clinique du chirurgien. J’interroge la répétition du symptôme. Combien de fois un même patient, opéré du canal carpien, d’appendicectomies, de la cataracte, a été réopéré ? Peut-on mettre dans le même sac l’intervention de la cataracte et une appendicectomie ?

Nous devons retourner à la clinique, c’est elle qui a donné à la médecine ses lettres de noblesse. Et la clinique médicale de ce siècle ne pourra pas se passer de prendre en considération une variante qui est la raison d’être de la psychanalyse, à savoir, le désir inconscient du patient. Indépendamment du fait que l’opération soit petite ou plus imposante, comme dans le cas du cancer de la prostate, nous ne devons pas négliger que cette intervention sera faite chez un être avec une histoire, avec des fantasmes inconscients et des désirs méconnus.

C’est ici qu’entre en jeu ce que j’avais appelé la clinique du partenariat. Dans cette clinique, le médecin n’est plus seul avec le patient, il reconnaît qu’il lui faut du renfort thérapeutique. Et ce renfort est apporté par le psychanalyste et par le patient lui-même. Jusqu’à présent ce n’est pas le choix de la médecine. Espérons qu’une alliance nouvelle s’installera au nom de la clinique de ce siècle.

Viser uniquement l’intérêt financier du médecin libéral dans le privé et le laxisme du médecin public, comme le fait Monsieur Gérard Vincent, délégué général de la FHF, peut être vrai, mais ce n’est pas suffisant pour nous sortir de l’impasse. Un chirurgien est formé pour opérer. Et je n’ose pas penser qu’il aille inventer une pathologie où il n’y en a pas. Ainsi, on revient à la formation du médecin et à son éloignement des choses liées au désir inconscient. Je n’attends pas qu’un chirurgien sache manier le transfert comme un spécialiste, psychothérapeute ou psychanalyste. Je propose, pour que nous puissions apporter une réponse à cette épineuse situation d’argent public et de santé publique, que les chirurgiens s’habituent à compter avec les psychanalystes pour assurer le relais d’une demande qui n’est pas justifiée par des raisons strictement médicales.

Le président de la FHF, le cardiologue et député Jean Leonetti nous rappelle qu’il existe même une expression pour la réalisation d’actes médicaux non justifiés, à savoir, « pousser l’indication ».

Comme je l’ai écrit dans un précédent article, l’inconscient du médecin interprète, mais ce dernier ne sait pas quoi faire de l’interprétation, c’est pour cette raison que des vérités tombent de sa bouche, comme de celle des enfants (3). Oui, il faut pousser l’indication, mais pas dans le sens de répondre à la demande. Il faut pousser l’indication vers une rencontre possible avec un psychanalyste, ce qui ne signifie pas que le patient n’aura plus à faire au médecin.

Cette poussée à la relation avec le psychanalyste, je l’ai appelée « Cônification du transfert » (4). Il faut imaginer un cône inversé. Dans la partie supérieure du cône, nous rencontrons les êtres qui animent la vie du patient : son épouse, ses parents, sa fratrie, son médecin. Parfois, dans la relation avec ce dernier, les affects et les pensées du patient sont actualisés dans son corps et dans la relation avec lui. Le médecin, sans formation psychanalytique, prendra ce qui se passe dans cette relation – l’amour, la haine, l’ignorance du patient – comme étant dirigé vers sa personne.

Ce phénomène de transfert, comme nous l’appelons techniquement, produit parfois, des réactions vives de la part des chirurgiens face aux refus des patients de réagir favorablement à l’intervention chirurgicale. La psychanalyse est une clinique du particulier. La médecine en générale et la chirurgie en particulier, est une pratique du général. Ils font d’une « certaine façon parce qu’on l’a toujours fait », comme dit Monsieur Leonetti.

Dorénavant il faut peut-être penser la médecine avec les psychanalystes. C’est mon souhait. Cette rencontre, cette proximité, cette collaboration clinique sera fructueuse pour la médecine et la psychanalyse françaises. Nous ferons des économies de l’argent public puisque quand on paye de notre poche on est tous, malades ou non, beaucoup plus regardant.

Pour savoir quel est le bon niveau pour chaque type d’intervention, il faut que la FHF ne se contente pas de reconnaître, comme elle le fait avec beaucoup de courage et d’honnêteté, sa « non compétence scientifique pour juger ». Elle devrait se donner les moyens de créer cette compétence. Elle peut créer une commission d’étude pour déterminer les critères d’évaluation. Il va de soi, avec tout ce que je viens d’argumenter, que les psychanalystes seraient invités à faire partie de cette commission et, surtout, qu’ils pourraient rencontrer médecins et patients, discuter avec eux, dans le but de faire avancer cette enquête.

Nous devons compter avec un travail de sensibilisation des médecins à la question du discours, de la demande, du désir inconscient. Nous devons compter avec l’aide de la Haute autorité de santé. C’est une erreur que les pouvoirs publics comptent uniquement avec un discours basé sur des chiffres et non sur la clinique. Oui, nous devons publier régulièrement les résultats des avancées de la commission proposée ci-dessus pour que les cliniciens en médecine puissent se rendre compte que c’est économique pour eux, pour les patients, pour la société en général, de prendre le désir inconscient au sérieux (5).

Il faut rendre visite à ces médecins « dont les statistiques semblent aberrantes », selon l’article, avec une disposition claire de comprendre le phénomène et non avec une quelconque intention de jugement. J’appuie entièrement l’idée de Monsieur Leonetti, à savoir, que le « médecin-dépasseur », c’est mon expression, reçoive la visite non d’un médecin-conseil mais d’un « professeur en fin de carrière », l’expression est de Jean Leonetti. Cela à condition que ce professeur soit accompagné d’un psychanalyste, qui pourra collaborer à la compréhension de la situation, car ce n’est pas parce qu’on est chef de clinique ou professeur à la veille de sa retraite qu’on est plus intime de l’inconscient et de ses espiègleries. Nous devons introduire le « médecin-dépasseur » dans l’affaire, il doit être invité gentiment à s’introduire dans le champ de recherche, et non l’en exclure.

Un acte chirurgical est toujours un acte pertinent pour celui qui le pratique, j’exclue ici les actes de mauvaise foi et l’appât du gain. Il est pertinent quand la demande du patient ou la décision du chirurgien est légitimée cliniquement.

Mais nous savons tous que la demande est contaminée par le désir, par le fantasme, par l’énigme de la pulsion qui trouve dans un point précis de l’organisme un locus privilégié de jouissance.

Le médecin de ce siècle ne peut pas, pour sa santé subjective et pour l’avenir de sa discipline, rester isolé. De là l’importance de faire appel à la psychanalyse.

Un dernier mot.

Ce n’est pas par la punition que nous allons régler le problème. Il faut fermer les blocs moins utilisés simplement parce qu’on n’a pas d’argent à investir dans une terre qui ne donne pas de fruits. Investissons dans la psychanalyse, elle apporte au champ de la médecine l’humidité et la fraîcheur nécessaires, pour que celle-ci puisse retrouver le fruit goûteux de la clinique.


1. Psychanalyste, directeur de la CPP – Consultation publique de psychanalyse (Paris IX), membre de l’équipe syndromes psychogènes (INVS).
2. Freud, S. (1900), L’interprétation des rêves, PUF, Pairs, 1967, p. 136.
3. Amorim de, F. (1997), L’inconscient (du médecin) interprète in Revue de psychanalyse et clinique médicale, n° 1, RPH, Paris, p. 102.
4. Amorim de, F. (2002), Image du corps en psychanalyse in Revue de psychanalyse et clinique médicale, n° 9, RPH, Paris, p. 29.
5. Amorim de, F. (2007), Le coût psychique et financier de ne pas prendre le désir inconscient au sérieux in Les Brèves de La lettre du RPH n° 148.