Merci à Elisabeth Roudinesco pour sa tribune parue dans Le Monde. Voici ce que m’inspire ma lecture :
Les psychanalystes ont contribué à leur propre déclin parce qu’ils ont abandonné la position de psychanalysant. Et ce faisant, ils ont été attirés par les vents et les courants – leurs propres résistances psychiques – vers l’embouchure où se trouve la position d’analyste.
Il devient urgent d’examiner autrement la sortie de psychanalyse du sujet qui désire devenir psychanalyste et de faire toute sa place, dans la formation actuelle du psychanalyste, à la formule : « la psychanalyse du psychanalyste est sans fin » – qui signifie que tant qu’il recevra des patients il maintiendra le divan dans sa vie. Mon intention, avec cette formule, est de protéger la psychanalyse et le psychanalysant du moi du psychanalyste. Le temps de la formation de l’analyste à la papa est fini.
Comme l’écrit Madame Roudinesco, avoir été « soi-même analysé et supervisé » n’accouche pas d’un psychanalyste mais d’un analyste. En tant que tel, il conduira des psychothérapies, des analyses, mais pas de psychanalyses. Un psychanalysant sort de psychanalyse aujourd’hui grâce à son désir et non parce que l’analyste sait par où il a conduit le bateau de la cure. Cependant, s’il est possible d’esquisser une carte de la clinique de la souffrance psychique, corporelle ou organique de l’être, cela ne pourra se faire qu’en France. Nous avons une pépinière d’enseignants universitaires compétents et de fins cliniciens qu’on ne retrouve nulle part ailleurs.
Je ne suis pas du tout inquiet de la perte de l’aura de la psychanalyse car elle n’a pas perdue la sienne, ce sont les analystes qui ont perdu la leur. Ce qui en soi est une excellente chose. Assis sur leurs lauriers, ils ont pensé qu’il fallait simplement prendre la pose ou imiter Freud ou Lacan pour convaincre. Il faut revenir à Freud, comme disait Lacan, mais aussi à Aristote. Il faut démontrer les effets de la rencontre avec un psychanalyste car le psychanalyste français, d’orientation freudo-lacanienne, nourri à la clinique psychiatrique franco-allemande du XIXe – Chaslin et sa recherche sémiologique, Kraeplin et son travail de classification – est toujours à son poste.
Un rectificatif me semble important : « TCC » n’est pas l’abréviation de « thérapies » comportementales et cognitives mais bien de « techniques » cognitivo-comportementales. Dans notre beau monde de fausses nouvelles, les malins changent les mots pour tromper la galerie. Les TCC ce sont des techniques de dressage du moi et en soi cela ne me dérange pas. Il faut de tout pour faire un monde comme disait ma grand-mère. Il y a des personnes qui veulent, exigent, un dresseur, même au cœur des barricades et des manifestations les plus colorées.
Je ne me réfère jamais aux psychistes comme étant des « psys ». La société le fait et je reçois ce diminutif comme une interprétation de leur part : ça fait diminutif et ça fait bouillabaisse. Pour cette raison, toutes les fois que quelqu’un m’a donné ce titre, je l’ai toujours refusé. J’ai beaucoup ramé pour devenir psychanalyste, donc, j’exige la reconnaissance et la respectabilité de la position que j’occupe. Jusqu’à preuve du contraire.
L’extravagance de la consommation des médicaments est due à l’absence de proposition clinique (à ce propos, Cf. dans « Le Monde », les propos de Marie-Jeanne Richard, recueillis par Charlotte Chabas – Incendie à Paris : en psychiatrie, « le vrai problème se trouve dans la rupture de la chaîne de soins » – ne peut qu’appuyer mes dires.
Responsable d’une Consultation Publique de Psychanalyse (CPP), je constate que les patients diminuent ou arrêtent leur médicaments – je sollicite toujours l’accord de leur médecin traitant, car je suis pour la clinique du partenariat entre médecine et psychanalyse – quand ils sont en psychothérapie. Une telle réussite se passe dans tous les cabinets des psychanalystes. Mais comme ce n’est pas dans la nature de ces derniers de crier aux quatre vents leurs réussites, mais de se pencher plutôt sur leurs échecs, ils ne font pas assez leur publicité. Un psychanalyste travaille dans la discrétion de son cabinet et, chose amusante, ce ne sont pas mes ennemis qui me donnent du fil à retordre car comme disait Freud : « Protégez-moi de mes amis, de mes ennemis je m’en occupe ». Ce sont les jeunes poussins à l’université et les analystes qui n’arrêtent pas de me faire des croche-pieds : les premiers me disent gourou, les deuxièmes disent que le Réseau pour la psychanalyse à l’hôpital (RPH) n’est pas une école de psychanalyse.
Et pourtant, en 2018 – j’épargne le lecteur des chiffres des années précédentes –, la CPP a assuré 47.135 consultations (quarante sept mille cent trente cinq consultations) ; reçus 1.489 patients et psychanalysants (mille quatre centre quatre-vingt neuf) ; et a réalisé un chiffre d’affaire de 1 361 975, 90 euros avant impôts (un million trois cent soixante un mille neuf cent soixante quinze euros et quatre vingt dix cents). Cela sans compter d’aide d’aucune sorte de la société ni de subvention. La France a payé mes études et cela est largement suffisant pour que je puisse opérer en tant qui clinicien et avancer sans l’aide de qui que ce soit. Les membres du RPH opèrent avec la psychanalyse du matin au soir, notre équipe est jeune (30-40 ans en moyenne) et le désir est au rendez-vous. Et pourtant, un professeur de psychiatre, responsable de CMP, avait convoqué un des jeunes cliniciens de la CPP-Créteil – jeune qui court à droite et à gauche pour demander que les CMPs, débordés de demandes, lui adressent des patients – pour savoir ce qu’est ce RPH dont il « entend parler depuis vingt cinq ans ! ». Donc, par curiosité biensaine, Monsieur veut savoir qu’est-ce que c’est ce machin où il n’y a pas de suicide depuis 1991 et où les chômeurs construisent du travail, retournent à l’école, se professionnalisent, construisent des familles et retournent à la vie sociale par la porte de devant. Je lui réponds sans détour : c’est de la psychanalyse française, celle qui s’adapte, celle qui a été portée par Lacan et maintenant par quelques-uns.
Un point de désaccord avec Elisabeth Roudinesco : la psychanalyse n’a jamais été portée par le savoir psychiatrique. Comme elle a bien dit, la psychiatrie est une branche de la médecine. Cependant, je défends que la psychanalyse est une science à part entière. À part Freud, la psychanalyse a toujours été portée par les psychanalysants. C’est le discours psychanalytique qui a sorti la psychiatrie de l’impasse des asiles sans fin, d’ailleurs c’est encore le refus du désir inconscient, du désir, du fantasme, du délire qui justifie les entrées et les sorties des services de psychiatrie… jusqu’au passage à l’acte.
Cette place de dépendance de la psychanalyse à la psychiatrie, à la psychologie, à l’université relève d’une époque révolue. Investir dans la psychanalyse à part entière c’est occuper la position de psychothérapeute tout en étant prêt, lorsque le patient sera prêt à devenir psychanalysant, à occuper la position de supposé-psychanalyste (Cf. Cartographie du RPH), c’est être en phase avec la situation économique de la population, c’est être à la disposition des demandes et d’y répondre de ses actes, même quand cela tourne au vinaigre.
Les psychanalystes sont des travailleurs de la santé mentale, mais pas comme les autres. Ils sont intellectuels dans l’essence même de leurs activités. Un psychanalyste inculte n’existe pas, logiquement. Il faut se rappeler que ce sont les écoles qui veillent à la production des psychanalystes. Or, à n’importe quel moment de la semaine, jour ou soirée, après une journée d’acticité clinique, il y a en France un groupe d’étude, un séminaire, un colloque, un congrès. Cette activité intellectuelle se fait dans les salons privés ou moins privés, discrètement. Elle existe et elle est puissante, même si elle n’est pas bouillante socialement.
Le problème du salaire des jeunes en institution ne concerne pas les psychanalystes puisque ces jeunes désargentés ne sont pas psychanalystes. Un psychanalyste gagne correctement sa vie. Il est vrai que quelques écoles utilisent cette formule bâtarde « analyste en formation ». Que Nenni. J’aime le mot en ancien français bastard : il faut qu’ils travaillent pour, plus tard, se mettre au monde en tant que psychanalyste. Pour l’instant, rien ne prouve – ni cliniquement, ni théoriquement, ni financièrement – que socialement, ils soient psychanalystes. Le semblant s’est installé dans le champ analytique et je travaille pour sortir ma psychanalyse, celle qui m’a mis debout, de cette embrouille : « psychothérapie analytique », « psychiatre-psychanalyste », « professeur et psychanalyste » … et tant d’autres formules du même genre nées hors-mariages, signe que le désir d’être psychanalyste est là, mais la résistance à devenir est plus puissante, de là la naissance des compromis, avec les conséquences qui viennent avec et que Madame Roudinesco dénonce dans le style qui lui est propre.
C’est grâce à la psychanalyse que des personnes sont moins hospitalisées, prennent moins de médicaments, peuvent aimer, travailler et être en société sans allumer le feu. Nous n’avons pas à rougir de notre bilan clinique.
La psychanalyse n’est pas en déclin, elle fait sa mue. C’est une excellente nouvelle.
Le problème des grandes difficultés à financer leurs cures est un problème que nous avons réglé au RPH puisque des jeunes que j’avais rencontrés il y a vingt ans sont aujourd’hui des psychanalystes qui vivent de leurs activités cliniques. La logique de la formation mise en évidence par Madame Roudinesco ne correspond pas à la formation proposée par le RPH. Elle décrit plutôt des psychiatres et des psychologues qui ne sont pas encore psychanalystes et qui précipitent l’opération de reconnaissance en faisant usage de l’imaginaire et non du symbolique articulé au réel.
L’humiliation faite au psychanalyste est le fait de l’envieux. Incapable d’embrasser, il enduit de morve, selon le dicton éthiopien. Pas plus tard qu’hier, une de mes élèves me signale qu’une dame, analyste sans doute, faisant mine de ne pas savoir de mon existence, lui avait dit ; « Ah ! le RPH, … Ah ! le brésilien ! ». Pour sa gouverne, je suis Français. Certes né au Brésil. Son mépris m’indiffère. M’appeler « brésilien » ce n’est pas une insulte. Une insulte était d’appeler Lacan « Le vieux », « le fou », et Freud le « porc juif ».
Les psychanalystes sont toujours prêts pour les batailles publiques, à condition de trouver un adversaire à la hauteur.
Et si quelqu’un, en lisant cette missive, est prêt au combat, qu’il sache que mon armure – en papier – est prête, et mon épée – de bois – ne demande qu’à quitter son fourreau.
Je suis héritier, je suis un enfant de Paris VII et prêt à guerroyer. Si nécessaire est : En garde !
Fernando de Amorim
Directeur CPP- Paris IXe