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Lettre du RPH Octobre 2018

Édith de Amorim
Octobre 2018

L’heure du choix

Soyons réalistes, cette heure dite du choix, n’est pas composée des soixante minutes, ou des trois mille six cents secondes, réglementaires, autrement dit cette heure ne se rompt en rien, ne rend rien, aux nombres sexagésimaux.

C’est l’heure d’une toute autre horloge ; une horloge qui tient plus de  l’allégorie de l’Histoire qu’a illustrée et expliquée Cesare Ripa (1555 ? – 1622) dans son Iconologia, overo Decrizione dell’imagini universali (Iconologie, ou Description des images universelles) parue en 1593 à Rome. Voici comment il a décrit cette allégorie :

« L’Histoire regarde en arrière, vers le passé mais elle est en marche vers le futur. Elle a un pied posé sur la terre qui est le lieu où vivent les hommes, protagonistes de l’Histoire. L’autre pied est sur un cadre, symbole de stabilité car l’Histoire doit toujours être ferme, elle ne doit se laisser corrompre par aucun mensonge, elle recherche la vérité dans les vrais témoignages et les sources. Son vêtement est donc blanc comme la pure vérité. (…) » (“La Storia guarda indietro verso il passato ma si incammina verso il futuro. Ha un piede posato sulla terra, che è il luogo dove vivono gli uomini, protagonisti della Storia. L’altro piede è sopra un quadrato simbolo di stabilità perché la Storia deve star sempre salda, non deve lasciarsi corrompere da alcuna bugia; ricerca la verità nelle testimonianze vere, nelle fonti. La sua veste è dunque bianca come la pura verità. (…). Cesare Ripa – Adattamento)

Cette logique singulière qui crée cet espace-temps sévèrement tenu par ces préceptes de véritable vrai et de pure vérité c’est celle de notre inconscient. Cette logique, elle, est rompue à un nombre et un seul : le nombre d’or qui établit un unique rapport a/b entre deux longueurs, dont l’une plus grande que l’autre, et qui peuvent tout de même s’égaler dans leur rapport : la somme entre la grande et la petite divisée par la grande est égale à la grande divisée par la petite. Cette proportionnalité est aussi ainsi écrite : « (…) lorsque a est à b ce que a + b est à a » (Wikipédia, entrée : Nombre d’or). On pourrait penser qu’ainsi ce nombre se cantonnerait à la seule géométrie, mais ce serait grandement se fourvoyer car cette affaire de rapports entre différentes longueurs se rencontre beaucoup en poésie : rapports 2/1 ou 3/2 ou 5/3 ou 8/5.

Ce n’est pas parce que nous ignorons tout de notre propre poésie que nos inconscients se privent de rimer, usant, jouant, jonglant avec les signifiants, et tous les rapports imaginables : contresens, contretemps, contrepoint, contre vents et marées, contre-effets… en formidables contrapuntistes qu’ils sont.

Tenez, laissez-moi ce plaisir de vous livrer un de ces fameux bouts rimés de l’inconscient qu’on appelle le lapsus (linguae) : une dame âgée me narre les derniers outrages de son âge et conclue d’un sonore : « C’est l’évieulution ». Mais oui, ma très chère dame, c’est bien cela : une loi. Elle n’est pas contente mais elle sait que c’est la dura lex de l’évolution.

Si le nombre d’or existe, n’en déplaise aux anti-spécistes, c’est parce que l’Homme et son inconscient existent.

Ainsi l’heure du choix, ce choix toujours en grand apparat pour aller avec son cortège d’embarras, peut être une heure qui couve depuis belles heurettes devenues même des lurettes. Une dame âgée, la même du lapsus, évoquait sa dernière opération pour « ma descente de la vessie. Une nuit, quelques jours avant l’opération, j’ai été réveillée par la pensée : « Pas d’opération ». C’était quelque chose. Et je n’arrivais pas à me la sortir de la tête au point que j’ai dû appeler l’hôpital pour annuler l’opération. J’y ai dit au chirurgien : « Je sais, c’est dans ma tête, j’comprends pas, mais tout de même, pas d’opération. » Trois mois ont passé et puis j’ai fini par y aller, il fallait bien quand même, c’était plus supportable. C’est pas imaginable comme ça vous complique l’existence c’te machin-la (la descente d’organes). L’opération m’a remis tout ça d’aplomb et je suis bien contente. Mais c’est idiot comme je n’arrivais pas à me sortir cette pensée là de la tête. Et le chirurgien y m’a comprise. » Un peu plus tard, dans la même conversation, de fil en aiguille, elle évoqua son énurésie de petite fille qui cessa lorsqu’à six ans son père décéda.

Ainsi à l’heure du choix de se faire opérer, la vieille dame répondit à l’appel péremptoire de l’inconscient, un pied sur la terre des Hommes (l’évieulution, qui fait qu’elle pisse dans sa culotte), l’autre sur le cadre stable de son Histoire refoulée (désir œdipien : voluptueux et sadique puisqu’à l’époque de son énurésie la Mère Denis (Jeanne Marie Le Calvé, (1893 – 1989, lavandière et égérie des publicités pour un lave-linge dans les années 70) n’existait pas encore et sa mère lavait le linge à la main) lui dictant, ce désir archaïque intimant : « pas d’opération ». Ordre qu’elle ne comprit pas mais auquel elle obéit, tout comme son chirurgien qu’elle avisa et qui, en homme avisé, sut saisir la vérité dans le discours de sa patiente et se rendre à son avis. Elle eut beaucoup de chance car tous les chirurgiens n’ont pas cette délicatesse face au désir inconscient qui surgit dans leur champ opératoire.

Son témoignage est, comme le dit Cesare Ripa, basé sur le temps, certes, mais celui de l’inconscient qui ne connaît pas le temps qui passe, évolue. Cette femme me témoigne de ce qu’elle reconnaît la force d’une pensée qui la secoue dans son sommeil et sa détermination à faire cesser les outrages car, plus fort que l’inconfort, le plaisir d’Alors, sans retenue, sans gêne, sans entrave, ce « Jouis ! » magistralement lascif.

 L’heure du choix est ce moment de conclure un temps ignoré et encore « étrange est » (Jacques Prévert, Fatras, Etre ange, c’est étrange).

Actualité du RPH

Colloque du 10 novembre 2018

L’heure du choix, itou

Ce sera le troisième colloque qui ferme le ban du triptyque sur le thème de L’Œdipe et de ses trois temps. Ce temps, troisième, convoque l’être à la croisée des chemins entre symptôme et désir : il lui faut choisir ! Encore cette heure qui sonne le glas du suspens et crève l’éther œdipien, précipitant l’être sur cette terre des Hommes qui évieuluent. Le choix est toujours au moins un peu douloureux puisqu’il nous contraint à perdre, mais la tentative des êtres parlant d’y échapper et de conserver leurs croyances, leurs jouissances, amène, mène à l’Amen, l’ainsi-soit-il et au tant pis des symptômes.

À cette journée, sera présent le Professeur Bernard Debré, co-auteur avec le Professeur Philippe Even, de l’ouvrage intitulé « Dépression, antidépresseurs psychotropes et drogues », éditions du Cherche Midi, septembre 2018. Ces deux professeurs avaient déjà défrayé la chronique médicale en publiant en 2012 : « Guide des 4000 médicaments utiles, inutiles ou dangereux » toujours au Cherche Midi éditeur ; ce livre leur avait valu bien des déboires, notamment celui d’être privés du droit d’exercer la médecine durant un an pour manque de confraternité ! Avec ce dernier livre, ils dénoncent un « marché de la dépression » et la surprescription qui va avec. Or, loin de nous l’idée de transformer la figure du médecin en ogre prescripteur, mais dans cette question qu’ouvre ce troisième temps de l’Œdipe avec le choix qui en résulte pour tous, on est dans le champ du désir inconscient. Pour le médecin qui, face aux larmes, aux teints pâles, aux mines défaites et aux corps délabrés des patients, il n’a pas tous les moyens pour venir à bout des symptômes qui débouchent dans son cabinet ; son champ, l’organisme, est largement contaminé par le champ du psychanalyste qui est celui du désir inconscient.

Les médecins généralistes dans leur immense majorité répondent à la demande qui leur fait face sans savoir, parce que ce n’est pas leur domaine de compétence et qu’on ne leur a jamais appris, que la demande est inextinguible, intarissable, inépuisable.

La demande, c’est l’autre nom du Symptôme et c’est bien pourquoi, médecins et psychanalystes sont faits pour travailler main dans la main. Au RPH on appelle cela la Clinique du partenariat.

Des paroles en D’OR

Puisque nombre d’or et poésie s’entendent depuis si belle lurette, voici ce poème de Charles Baudelaire 1821 – 1867), Le serpent qui danse, Les fleurs du mal. On le dit, dedans gît le nombre d’or…

Que j’aime voir, chère indolente,
De ton corps si beau,
Comme une étoffe vacillante,
Miroiter la peau !

Sur ta chevelure profonde
Aux âcres parfums,
Mer odorante et vagabonde
Aux flots bleus et bruns,

Comme un navire qui s’éveille
Au vent du matin,
Mon âme rêveuse appareille
Pour un ciel lointain.

Tes yeux, où rien ne se révèle
De doux ni d’amer,
Sont deux bijoux froids où se mêle
L’or avec le fer.

A te voir marcher en cadence,
Belle d’abandon,
On dirait un serpent qui danse
Au bout d’un bâton.

Sous le fardeau de ta paresse
Ta tête d’enfant
Se balance avec la mollesse
D’un jeune éléphant,

Et ton corps se penche et s’allonge
Comme un fin vaisseau
Qui roule bord sur bord et plonge
Ses vergues dans l’eau.

Comme un flot grossi par la fonte
Des glaciers grondants,
Quand l’eau de ta bouche remonte
Au bord de tes dents,

Je crois boire un vin de Bohême,
Amer et vainqueur,
Un ciel liquide qui parsème
D’étoiles mon cœur !