Matthieu Julian,
Saint-Germain-en-Laye, le 11 Avril 2017
Je me souvenais déjà de ce professeur de psychologie de l’Université Paris Nanterre qui, alors que j’en étais à la première année de mes études, en amphithéâtre, prit la parole pour parler aux plus de trois cents étudiants présents : « Vous savez, il y a très peu de débouchés à votre formation et le passage en master II pour obtenir le titre de psychologue est très compliqué. Sur l’ensemble des étudiants présents aujourd’hui, allez, trois ou quatre seulement deviendront psychologues, et encore ! ».
Quelques années plus tard, un ami m’envoyait une photographie des diapositives que projetaient au mur de l’amphithéâtre un professeur de la faculté de médecine de Genève : « Ré-orientation. La réussite de la première année est difficile même en étant bon étudiant. Il pourrait être opportun de réfléchir dès aujourd’hui à une filière professionnelle alternative en prévoyance d’un échec possible de cette première année. [Puis sur la diapositive d’après] Les études en médecine sont stressantes ce qui peut parfois engendrer différents troubles psychologiques tels : dépression, difficultés d’attention et de concentration, troubles du sommeil, troubles alimentaires, problèmes relationnels, stress, troubles du désir. »
Aujourd’hui, en doctorat, j’effectue une recherche quantitative de terrain dans un lycée général et technologique. En quelques semaines, j’ai rencontré près de six cents élèves de la seconde à la terminale, désireux, ambitieux et demandeurs d’échanger avec ceux qui sont plus avancés dans leurs études. J’ai été contacté par beaucoup d’entre eux – surtout ceux qui préparent leur sortie du lycée, actuellement en train de formuler leurs vœux d’orientation post-baccalauréat – qui souhaitaient obtenir des informations sur le cursus de psychologie ou sur la vie étudiante, à Paris ou ailleurs. J’ai donc rencontré cet après-midi deux élèves désireuses d’intégrer une formation en psychologie à l’Université Picardie Jules Verne à Amiens, voici leur propos : « Je suis inquiète, lorsqu’on est allée à la journée portes ouvertes, on nous a dit que très peu devenaient effectivement cliniciens après leurs études et que ça pouvait être une perte de temps que de faire ces études, qu’il n’y avait pas de travail après et que de toute façon beaucoup abandonnaient donc que ça ne signifiait rien d’avoir envie de devenir clinicien au lycée. Du coup, j’ai rajouté d’autres vœux que la psychologie sur le site. »
Où se situe le trouble du désir ? Est-ce du côté des jeunes, du côté de l’effet des études comme le propose ce professeur de Genève ou est-ce du côté de l’université et des enseignants ? Face à ce sabotage du désir des jeunes – dès le lycée – par ceux qui ne sont pas amis du leur, on peut : inviter les cliniciens et les médecins à retourner sur le divan ou à commencer à le côtoyer, mais on peut aussi se positionner nous-mêmes pour proposer un autre discours à l’oreille de ces étudiants. Je leur ai indiqué mon désaccord profond avec cette position des universitaires qu’elles ont rencontrés sans leur cacher l’engagement, l’assiduité et l’endurance nécessaires pour ces études. Je leur ai parlé de mon parcours et de la formation théorique et clinique proposée par le Réseau pour la Psychanalyse à l’Hôpital (RPH), je leur ai dit pourquoi ça dépendait de leur travail et de leur désir, et que c’était possible. Je leur ai dit que ça signifiait beaucoup cette envie de devenir clinicien et qu’il fallait prendre soin de cela. Œuvrer à favoriser le lien direct entre les étudiants et les professionnels, inviter au dialogue entre les universités et les écoles de psychanalyse : cela pour prendre le plus grand soin de ces désirs encore fragiles.