Stratégie clinique et téléphonie
Fernando de Amorim
Paris, le 8. XI. 2012
Confrontés aux appels téléphoniques des personnes en situation de détresse psychique, les cliniciens sont confrontés à l’exigence d’organiser une stratégie pour que l’acte de parler avec quelqu’un en détresse – par téléphone – ne se transforme pas en un appel sans effet.
En réponse à l’appel, l’écoutant offre à l’appelant de venir le rencontrer en consultation à l’extérieur, telle est la stratégie des cliniciens du RPH.
Cette offre doit toujours être de nature clinique, c’est-à-dire, faire en sorte que l’appelant puisse désirer se pencher sur ce qui le fait souffrir. Sans cette perspective, l’appel tombe à l’eau…et se perd. Conséquence : pas de clinique, nulle perspective que le patient devienne psychanalysant ni, par la suite, sujet dans son rapport au désir et au monde.
L’appel s’adresse à n’importe qui. En ce sens, celui qui appelle les services d’écoute téléphonique, ne s’adresse pas à Pierre, Paul ou… Jacqueline. Pour transformer cet appel en demande, il faut faire naître le transfert pour qu’ainsi, pour de vrai, de manière consistante, l’offre crée la demande.
Je divise en trois registres la stratégie du clinicien de sorte que l’appel puisse devenir consistant pour l’appelant, si ce dernier se donne le droit au désir de savoir, ce qui, dans la grande majorité des cas, n’est pas le cas.
Le premier registre est celui qui consiste à installer et nourrir le transfert. Cela se fait en attisant chez l’appelant son désir de savoir. Je me limiterai ici uniquement aux cas des cliniciens du SÉTU ?, le service d’écoute téléphonique d’urgence du Réseau pour la Psychanalyse à l’Hôpital – École de psychanalyse.
Le deuxième registre est celui de la cônification du transfert. Pendant que le clinicien écoute la plainte qui avait poussé à l’appel, il vise à cônifier le transfert. La cônification du transfert est tout dispositif clinique qui vise à fait en sorte que le malade ou le patient puisse quitter un lieu contaminé pour un lieu où il y aura moins de contamination.
À l’hôpital, il est impossible d’assurer une psychothérapie ou une psychanalyse.
La contamination est bien entendu transférentielle : dans les institutions, il y a toujours des gens qui rentrent dans la pièce, qui frappent à la porte. Le transfert est disséminé entre les infirmières, le médecin. L’hôpital, ou CMP, ou n’importe quelle autre institution, ne se prête pas au swingue exigé pour que le patient puisse devenir psychanalysant. Et puisque ce qui nous intéresse ici est l’appel téléphonique, il existe, là encore, la possibilité qu’un proche de l’appelant surgisse dans la pièce, qu’il ne puisse pas avoir droit à l’intimité d’appel, par jalousie ou crainte du conjoint. Je peux dire que le clinicien n’a pas affaire au corps, au regard, à la voix de l’appelant. Or, sans cela il n’y a pas de clinique.
Le troisième registre est celui de la consultation à l’extérieur. Puisque le transfert – si c’est le cas –j’entends par là une bribe, un bout de choux, est déjà installé par téléphone, le clinicien se risque à diriger ce transfert, c’est-à-dire, à faire en sorte que l’appelant puisse venir le rencontrer dans sa consultation, à l’extérieur. Le moment 3 (« consultation à l’extérieur » – le moment 1 est appelé « hospitalisation » et le moment 2 « consultation externe »), vise à conduire le transfert à la consultation du clinicien.
Ce lieu sûr, discret, dégagé des influences externes, semble être le plus favorable au déroulement d’un véritable acte clinique.