Voici des témoignages de cliniciens sur la pratique clinique exercée au RPH:
Laure Baudiment.
Lagny, le 5. IV. 2012
Je témoigne ici de ce que j’entends là-bas.
5 jours sur 7 et plus si nécessaire, je reçois des personnes en souffrance psychique parmi lesquelles un nombre croissant de soignants qu’ils soient médecins, infirmières, aides-soignantes ou psychologues, cadres ou secrétaire à l’hôpital et même des pompiers, des officiers de police.
Je suis depuis quelques temps frappée de ce dont ils témoignent dans le secret du cabinet, sur leur profession et cela m’a donné il y a quelques mois l’envie de faire de la politique ! Je m’abstiendrais, il y a déjà bien assez à faire dans mon métier et beaucoup de monde dans le monde de la chose publique !
Ces personnes sont sous le joug du devoir de réserve donc se taisent et souffrent en silence de voir leur métier démonté et les patients accueillis à l’hôpital maltraités. L’organisation des services sont repensés toujours dans le même sens : économie et chiffrage à la baisse des coûts ; et ce souvent, voire toujours, au détriment des patients. Car quand un médecin doit faire du chiffre, il augmente ses consultations et ses actes opératoires. Or, un médecin n’est pas une machine, il est faillible surtout quand les opérations doivent s’enchaîner.
Ces personnes travaillent donc beaucoup sans gagner plus, dans des conditions épuisantes.
Les témoignages vont de la maltraitance des patients dans un service psychiatrique, du sadisme de certains employés sur des personnes âgées, seules et abandonnées par leur famille, au sein de service que l’on dit gériatrique mais qui sont, de fait, des mouroirs pour vieux dégénérés. Cela passe aussi par les histoires où les psychiatres passent plus de temps à se placer politiquement au sein de l’hôpital qu’à gérer la psyché de leurs patients. D’ailleurs, les patients en psychiatrie n’ont parfois plus le droit qu’à une prise en charge médicamenteuse, leur psyché a été rayée de la carte ! Comme si Freud, Lacan, et tant d’autres n’avaient rien découvert !
Quant au dernier CMP en date où je conseillais à l’une de mes patientes souffrant de psychose-maniaco-dépressive de retourner afin d’effectuer un changement dans sa prise en charge médicamenteuse – la phase dépressive et le risque suicidaire s’accentuant – on lui a tout bonnement répondu qu’on était dans l’impossibilité d’avancer son rendez-vous qui était alors dans un mois. Ma patiente n’a eu donc que le seul recours d’en passer par son généraliste. Et quand elle revoit enfin le psychiatre du CMP, elle s’entend demander si venir me voir 4 fois par semaine, n’était pas un peu trop. Voilà le psychiatre technocrate que l’on a mis sur le marché. Voilà le psychiatre modèle qui prescrit des médicaments telle la machine moyenne, qui n’a cure des risques vitaux encourus par les patients qu’il reçoit et qui a oublié, à mon avis, un certain nombre de choses datant d’une formation lointaine et incomplète. Bien sûr et heureusement, tous les psychiatres et tous les CMP ne fonctionnent pas encore comme cela. Il reste encore des CMP où la psychanalyse opère mais jusqu’à quand ?
Est-ce vraiment ce genre de prise en charge que nous voulons pour nous-mêmes et nos concitoyens ? Tous les savoirs-faires emmagasinés depuis des décennies vont-ils disparaître au profit d’une logique comptable d’où l’humain est retiré pour ne paraitre plus que sous un chiffre où le sens, le cas par cas, est évacué ?
Allons-nous continuer à défaire tous ce qui avait été construit dans une logique de faire lien parce ce que c’est ce qui contient le mieux la folie, la souffrance. Si le lien social se délite, si les professionnels de la santé, qu’elle soit mentale ou pas d’ailleurs, sont mal formés, ou débordés, comment supporteront-ils la montée en puissance de la violence, des passages à l’acte répétés de ces derniers temps parce qu’on ne peut le nier, il y a un réel changement dans l’air et ce sont les infirmières, les médecins, des Urgences elles-mêmes qui devraient témoigner de ce changement dans le comportement des usagers comme on dit à leur égard. Quand on commence à mordre même la main qui nous soigne, il ne semble pas que cela soit bon signe. Si ces personnes qui sont avant tout des personnes dévouées aux autres et aux soins en viennent à avoir peur de faire leur métier, qui restera-t-il au front de la clinique ?
J’exerce depuis 12 ans maintenant et plus j’avance dans ce temps chronologique plus je me rends compte de la richesse et des multiples tonalités des structures psychiques des êtres humains que nous sommes. Je regrette aujourd’hui de ne pas avoir pu commencer plus tôt. Et j’attends aujourd’hui, en tant que citoyenne de ce pays, qui fut un pays précurseur dans la prise en charge des malades, qu’il se réveille et reprenne ses sens ! Sinon gare à la violence avec laquelle on n’aime tant nous assommer, nous menacer !
Quand est-ce que le « votez pour moi, sinon vous serez agressé » se transformera en un « votez pour moi car je crois en l’amélioration de l’humain grâce à des moyens adéquats : lien social – lien mental ».
Les lunettes de la psychanalyse permettent de déchiffrer autrement la vie et les passages à l’acte de nos concitoyens. Les politiciens ne devraient plus l’oublier, ils y gagneraient en sagesse et la population en bienfaits.
Ce matin, ma patiente souffrant de troubles bipolaires comme elle aime à se définir m’a annoncé qu’elle avait retrouvé du travail au bout d’un an et demi de recherches infructueuses Alors oui, je suis contente !
Merci Madame la Psychanalyse. Merci monsieur Freud, Merci Monsieur Lacan, Merci Monsieur de Amorim.
Et j’attends de pouvoir dire un jour :Merci Messieurs et Mesdames les politiciens ?
Edith de Amorim
Paris, le 4. IV. 2012
L’engagement singulier du RPH dans la société, outre de faire confiance et notamment aux jeunes étudiants en psychologie, au-delà de tenir hardiment à l’engagement auprès des personnes souffrantes et pauvres, cet engagement se repère également dans un soutien auprès du corps médical à l’hôpital, corps malade car traversé par des contradictions intenables que pourtant ils tiennent, ces médecins !
Voici un exemple de cette consultation commune qui s’est déroulée récemment à l’hôpital
Consultation commune du jeudi 2 février 2012 – 12h – Hôpital***
Une patiente âgée de 61 ans – de taille imposante, présentant des rougeurs autour des yeux, démarche chaloupée et lente entre dans le bureau.
A cette consultation assistent trois puis quatre médecins, tous en blouse blanche, la patiente et moi-même sommes en « civil ».
La doctoresse** en tant que médecin de la patiente, présente rapidement la problématique médicale : des douleurs qui ne trouvent pas, au vu des examens pratiqués, à s’expliquer par une organicité précise.
Les plaintes ne cèdent pas une once de terrain et font donc face à une « perplexité » médicale où se profilent lassitude et découragement qui ont valu que se tienne cette consultation commune avec comme but de diriger la patiente vers une autre idée d’aide que celle toute entière contenue dans sa demande à l’Autre pas barré, tout puissant : le médecin !
La patiente ne cille pas au vu du nombre de personnes qui assistent à la consultation : elle parle, se défait avec difficultés de ses nombreux effets – il fait très froid –, s’assied, se relève pour montrer où ses jambes la font souffrir (les mollets), s’assied et se relève pour aller récupérer son sac abandonné à son arrivée au pied du bureau, sac duquel elle extrait une pochette contenant des radiographies sur la couverture de laquelle est représentée un squelette humain en plan américain pour nous montrer où ses douleurs agissent (hanches).
La première question que je lui pose concerne son âge : elle répond « cinquan… soixante et un ans » ; c’est l’arrivée dans la consultation, elle est debout, occupée à s’installer, l’ambiance est bruyante, d’autres personnes (médecins) présentes parlent entre elles, je ne veux – ne peux – pas relever son lapsus mais je l’entends ! La question se pose de ma précipitation à l’interroger ; ceci est une remarque d’ordre purement technique quant à la mise en place de l’anamnèse car il n’y a pas de raison de laisser ainsi filer un lapsus !
Dans le résumé rapide que fait son docteur on trouve une grande étape de la vie médicalisée de cette femme, aux débuts des années 90 : la découverte d’un cancer du sein entraînant son ablation ; il m’a semblé que cette découverte ait été faite au bout d’un temps assez long de plaintes ; il y a eu, par la suite, la découverte d’une autre maladie – dermatomyosite – éteinte désormais. Convaincue de la non-organicité des douleurs dénoncées, sa doctoresse fait l’hypothèse que cette patiente souffre « ailleurs » et expose devant nous à sa patiente l’inaboutissement des recherches et sa perplexité ; la malade n’en a cure ! Elle se lance dans un exposé minutieux de ce qui l’a fait souffrir : depuis longtemps, le dos, depuis peu, les jambes et particulièrement les mollets et aussi les cuisses et les fesses ; elle joint le geste à la parole et se lève – péniblement – pour parcourir avec ses mains le chemin de sa douleur : des mollets jusqu’aux fesses en passant par les hanches ! Elle se rassied et conclut que tout cela est difficile pour une femme seule dont les enfants sont partis qui n’a plus que sa fille – elle-même mère d’une petite fille de quinze mois – qui passe la voir le soir ! Surtout, elle ne dort plus, ça la tire dans le dos !
Je relance donc sur son état « civil » lui demandant si elle est veuve : non ! Elle a divorcé ! Plus exactement, encore, elle était la seconde épouse ! Les énoncés de cette femme sont toujours accompagnés de mimiques très expressives que j’interroge car en disant qu’elle avait été « seconde épouse » le visage a pris une moue très éloquente entre dégoût et mépris !
Je l’interroge sur ce qu’est être deuxième épouse. La vie en France d’une deuxième épouse est celle d’une femme tiraillée, impuissante, contemplant le spectacle de son propre naufrage : elle vivait entre la chambre unique du couple constitué avec la première épouse et la salle-à-manger, en parlant elle tourne la tête des deux côtés alternativement comme si elle avait à se protéger sur ses deux flancs en même temps (les deux mollets, les deux faces externes des cuisses, les deux fessiers).
Un autre docteur présent lui demande si elle se sentait tiraillée ? Elle marque une hésitation et acquiesce ! Elle évoque alors son passé de femme « coquette », qui aime s’amuser, danser, aller en boîte, et de femme « puissante » qui a fait venir tous ses frères et sœurs en France !
Je lui demande alors quel est son rang dans la fratrie : « Je suis la seconde fille de mon papa ! » cela dit avec beaucoup d’orgueil. Je lui signale alors cette singulière répétition : « seconde épouse », « seconde fille ». C’est alors qu’elle explique qu’être seconde épouse en Afrique est tout à fait équivalent à première épouse : chacune sa propre maison et lorsque le mari dort chez l’une, le lendemain il mange chez l’autre et vice et versa et tout va pour le mieux ! Elle précise cependant que sa mère était l’épouse unique de son père – qu’ensemble ils ont eu beaucoup d’enfants – que c’était dur mais que sa mère préférait cela ; sa mère d’ailleurs était très hostile au fait qu’elle accepte d’être « seconde épouse » ! Elle-même a eu six enfants et a adopté la fille de sa sœur, quand la première épouse de son mari a eu sept enfants. Elle parle beaucoup de ses frères et sœurs qu’elle a tous fait venir en France ; je lui demande si elle a été leur « mère française » ? Elle sourit.
Je lui demande alors si elle a connu des personnes qui ont souffert ce qu’aujourd’hui elle connaît : son « papa » qui ne se déplaçait plus qu’avec des béquilles mais qui a eu une longue vie – quatre-vingt-dix ans – ; la patiente dit qu’elle veut aussi une longue vie, qu’elle veut la guérison ! Elle se lamente de ne pouvoir s’occuper de sa petite fille – qu’elle ne prénommera jamais au cours de l’entretien – et regretter la dépense d’argent pour la crèche
Elle répétera qu’elle cherche la guérison.
Elle parlera du regard des gens sur sa façon de marcher ; comment est ce regard ? Elle répondra par ce détour qu’avant elle était une belle femme, une femme coquette ; elle me questionnera à son tour : « Comment trouver un homme qui veuille de moi avec un sein en moins ? » Ce regard des autres qu’elle a à affronter lorsqu’elle se déplace, sort de chez elle, apparaît à beaucoup d’égards semblable au sien propre sur la femme qu’elle est devenue qui a perdu son mari, qui a perdu un sein, dont les enfants sont partis, qui a perdu sa beauté, qui a perdu sa possibilité de se mouvoir avec grâce, qui a perdu son pouvoir.
Quand sera évoquée la possibilité de venir me trouver à la CPP dans le 9e elle répondra là encore par une question : il y a des bons pour y aller ? Des bons de transport en taxi pris en charge par la sécurité sociale.
Il est apparu que cette femme « anéantie » – selon son propre mot – depuis son ablation du sein, ait jeté son dévolu, sa cause de désir, sur la perplexité médicale ! Sa guérison est qu’elle soit toujours bien entourée d’êtres perplexes et entièrement dévoués à sa cause mystérieuse ! Les bons de déplacement sont la matérialité de l’idée qu’elle se fait d’elle-même ou du moins de la restauration de l’idée de la femme qu’elle a été : toute puissante, toute fédératrice, toute Mère ! Elle a dit clairement qu’elle n’irait pas là où on ne lui propose aucun bon !
L’achoppement sur l’absence de délivrance de bon de transport pour venir à la CPP (1) ne doit pas nous précipiter dans la conclusion que cette femme ne veut pas guérir ! Avant toute chose, ce trébuchement symbolise la rupture de la relation – presque monadique – médecin / malade basée sur un « désir » de guérir qui ne peut plus prospérer du moins du côté médical au vu des divers bilans obtenus par les investigations ! Du côté de la patiente, le désir de guérir apparaît alors pour ce qu’il est : une guérison symbolique qui se soutient non seulement des bons accordés mais tout autant de la multiplication des spécialistes et des énonciations de leurs défaites.
C’est le point de rupture où convergent les médecins et les examens : pris en étau entre un « vous n’avez rien » et un « je ne trouve pas » ! Partie délicate s’il en est… que l’argent de la « sécu » coule ou non à flots ! Car, de cette certitude trompeuse du premier terme – « vous n’avez rien » puisqu’il y a bien quelque chose qui agit, agite et fait souffrir, et cette reddition du savoir médical, il conviendrait d’ouvrir une voie autre qui n’exige pas d’en passer par la défaite de l’une ou l’autre partie : un doute sérieux qu’elle s’adresse à la bonne personne, laissant entendre que le diagnostic est certain et que sa plainte est fondée …
C’est le point, quasiment sempiternel, où se joue la cônification du transfert ! Avec cette femme, la partie pour l’instant est loin d’être gagnée puisque, pour elle, le déploiement de médecins et de moyens autour de sa personne équivaut à la restauration de la représentation qu’elle a d’elle-même, c’est sa guérison et on peut comprendre qu’elle ne soit pas prête de la lâcher sans mot dire !
Si délicate que soit cette situation-là, elle n’est cependant ni rare, ni inédite ! Le travail de partenariat entre médecins et psychanalystes sans aucun doute gagnerait en efficacité à se nouer plus en amont. Toutefois, le cas de cette patiente ne me paraît pas perdu, le désir de savoir est labile et il n’est pas dit qu’il ait sombré sous les coups des aménagements altruistes !
CPP : consultation publique de psychanalyse, lieu créé par le RPH pour recevoir la souffrance et permettre aux jeunes étudiants de commencer à pratiquer.
Diane Sourrouille
Colombes, le 30. III. 2012
J’ai le souvenir qu’à l’âge de 15 ans, je parlais déjà de devenir psychologue. A 17 ans, je me suis présentée au concours d’entrée à l’école d’assistante sociale pour voir ce qu’était un concours. Je rencontrai alors un psychologue qui me demanda pourquoi je ne prenais pas la voie de l’université de psychologie puisqu’il semblait évident que j’étais très intriguée par le fonctionnement psychique humain. Il fit mouche. Je partais donc à la rentrée suivante suivre les enseignements de l’université de psychologie de Poitiers. Je fus immédiatement happée par la grande hystérie, cela sans rien percevoir véritablement de l’importance du travail de Freud ni de son rôle dans la naissance de la psychanalyse. Ce n’est que plusieurs mois, voire années, plus tard que je commençais à m’approcher de cette voie de la psychanalyse. A l’entrée en master 1 tout se compliqua : je résistais à valider mon année et décidais de le faire en deux ans car je ne me sentais pas prête à aller travailler avec les patients. Je passais encore un an par la suite à effectuer un stage afin d’essayer d’acquérir une « technique » de travail. Bien sûr, ce que je peux dire là de mes résistances, c’est bien plus tard, dans ma cure, que j’ai pu m’en saisir.
A l’époque je me souviens surtout d’avoir beaucoup interrogé mes camarades et les enseignants sur ce que je percevais et perçois toujours comme une contradiction : les enseignants parlent de leur travail auprès de leurs psychanalysants à des étudiants à qui on va délivrer un titre de psychologue. La position subjective de psychologue peut-elle être identique à celle de psychanalyste ? Je finis par venir à Paris pour finir mes études à l’université de Paris 7 et validai mon diplôme. Cette année-là, je rencontrais pour la première fois mon psychanalyste, Monsieur Fernando de Amorim. Cette rencontre fut à la fois celle d’un psychanalyste et celle de la psychanalyse, j’entrais au bout de quelques temps en psychanalyse et pu mettre au jour mon désir de pouvoir occuper cette position auprès de psychanalysants à mon tour. Avant cela je commençais par participer à un groupe de travail sur l’œuvre de Freud et aux séminaires du RPH. Il fallait que je puisse lâcher mes résistances pour pouvoir me lancer dans cette aventure clinique, ce que je fis progressivement grâce à ma cure.
Aujourd’hui, grâce au dispositif de la CPP, je peux participer à accueillir la parole de personnes qui souffrent. Mais cela me permet aussi d’apprendre tous les jours sur le fonctionnement psychique. Bien que je ne sois pas encore en capacité d’ouvrir mon propre cabinet, je peux vivre déjà, au bout d’un an et demi, de ma clinique. Au-delà de mon activité libérale, c’est aussi grâce à l’enseignement du RPH, à ma cure ainsi qu’à l’amitié et l’entraide qui règnent entre les membres du RPH, que j’ai pu travailler dernièrement dans un foyer de l’aide sociale à l’enfance ou à l’hôpital et réfléchir à la manière dont le psychanalyste peut avoir une position essentielle au sein des structures de droit commun.
Le RPH a nourri et nourrit encore mon désir cela tant en soutenant que je puisse recevoir des patients qu’en me permettant d’échanger avec mes pairs et d’apprendre de cliniciens chevronnés mais ayant un regard toujours neuf et sans suffisance, une position humble face à la parole de leurs patients et psychanalysants.
Témoignage de Julie Mortimore
Paris, le 20. III. 2012
En septembre 2010 j’arrivais à Paris, fraîchement diplômée en psychologie et quittant le sud de la France où j’avais grandi et vécu jusqu’alors. Je ne savais pas réellement ce que je voulais, ni réellement qui j’étais… mais le fait même d’être partie « à l’aventure », laissant le peu de choses que j’avais derrière moi ; toutefois mes repères signaient, pour moi, l’envie, le désir de « faire quelque chose de ma vie ». Je quittais donc bien peu de choses puisque c’est à Paris et grâce à la rencontre avec Monsieur Fernando de Amorim que j’y ai trouvé une voie pour soutenir ce désir.
Un jour de novembre 2010 je découvris par des recherches sur internet le RPH. J’aspirais à l’époque à entamer une psychanalyse, avec l’idée de devenir, je ne sais quand, psychanalyste, mais avant tout pour tenter de me réconcilier avec moi-même. Je rencontrais alors Monsieur de Amorim pour avoir plus d’informations sur le RPH. Ce jour-là j’entrai également en psychothérapie, et le lendemain en psychanalyse ! Mon désir de savoir était là, et je ne l’ai plus lâché depuis.
Je n’avais pas réellement de perspectives professionnelles. Je n’envisageais absolument pas le libéral, cela me semblait fou au vu de mon inexpérience. Quant aux postes en institution, j’y postulais sans trop d’envie, en espérant surtout un salaire pour assumer le coût de ma vie à Paris plutôt qu’un réel intérêt professionnel. Aucune réponse positive, ce n’est peut-être pas une coïncidence, mon désir n’y étant que très peu investi. Ce fut alors le début de petits boulots qui me permettaient de m’assumer financièrement mais aussi et surtout de payer les séances à mon psychanalyste qui se faisaient de plus en plus nombreuses. C’est grâce à ces séances que j’ai pu accepter, quelques semaines après, la proposition de recevoir des patients à la Consultation Publique de Psychanalyse (CPP) qu’il avait mise en place quelques années auparavant. C’est grâce à ces séances et au travail personnel exigé par le RPH qu’aujourd’hui je pense possible d’assumer la position de psychothérapeute, voire de psychanalyste. Jamais jusque-là je n’avais eu autant l’envie et la force de m’accrocher dans une voie concrète pour, effectivement, faire quelque chose de ma vie. Et quelque chose de réellement pertinent.
Car le projet du RPH est en tout point bien ficelé. Il a permis la rencontre entre de jeunes étudiants ou diplômés psychologues qui ont besoin d’apprendre concrètement leur travail, et des individus qui ont besoin de rencontrer un psychothérapeute en fonction de leurs possibilités financières. Il semble que, d’une part, les jeunes diplômés en psychologie, débarquant sur un marché du travail saturé, se retrouvent davantage dans des petits boulots de type serveuse de bar-restaurant ou encore vendeuse plutôt que dans des postes réellement gratifiants, à l’écoute de celui qui souffre. Or c’est bien là la place de tout psychologue clinicien, psychothérapeute ou psychanalyste, écouter et entendre l’être souffrant. Face à cela, une quantité infinie de ces personnes qui souffrent ne trouvent pas l’espace de parole, d’écoute qui devrait leur être accordé, soit du fait du coût d’une consultation privée qui ne leur en permet pas l’accès, soit que les listes d’attente des CMP sont saturées pour plusieurs mois… La création de la CPP, qui permet à chaque personne souffrante de rencontrer un psychothérapeute quelles que soient ses ressources, a permis de pallier ces deux absurdités : le manque de pratique des jeunes diplômés psychologues et le manque de professionnels disponibles. Les jeunes qui se destinent à être psychothérapeute apprennent et se forment concrètement à leur métier sur le terrain de la clinique, en recevant des personnes qui, parfois, ne peuvent donner que très peu pour leur traitement. Mais l’important est que ces personnes, si elles en ont le désir, trouvent un lieu pour dire leur souffrance, sans que ce soit une question d’argent. Et c’est bien au contact de patients que le psy, quel qu’il soit, apprend. Les théories et autres enseignements généraux de la faculté sont évidemment nécessaires mais pas suffisants pour se proclamer psychologue clinicien, psychothérapeute ou psychanalyste. Seul le corps à corps dans la clinique permet de former des professionnels dignes de ce nom.
Le RPH y a mis là toute son énergie pour prodiguer une voie possible pour ceux qui souhaitent assumer la position de psychothérapeute et psychanalyste, sous certaines conditions bien entendu. Cela suppose avant tout d’être ami du divan le plus souvent possible, afin de dénouer ce qui se joue personnellement mais aussi au contact des patients. Il faut également effectuer chaque semaine sa supervision auprès de celui qui, grâce à son expérience et à son travail, nous encadre et accepte de nous guider dans nos difficultés cliniques. Enfin, le RPH est aussi un lieu de formation permanente où chaque membre clinicien engage son désir et se met au travail. Il y est soutenu par les groupes de lecture, les séminaires, les réunions cliniques et les colloques qui poussent chacun à lire et relire ceux qui nous ont tout appris et à les confronter à notre clinique quotidienne.
C’est donc dans cette voie que j’ai souhaité m’engager et me mettre au travail. Ainsi il y a quelques mois, je tentais de survivre en payant tout juste mes factures, mon loyer et ma psychanalyse en enchainant les journées et les heures payées au smic et, parfois, quelques consultations ponctuaient mes fins de journées. Au fil du temps, de rencontres et d’investissements financiers, le nombre de mes consultations a augmenté et mes heures consacrées à ces jobs alimentaires ont diminuées. Aujourd’hui, les quelques heures qui me restent dans ces petits boulots me servent à couvrir quelques frais nécessaires mais ne sont plus mon revenu principal. Celui-ci je le dois à mes consultations, à cette voie du libéral que j’ai choisie d’investir pleinement, durablement, grâce au RPH, à son soutien, à son exigence clinique et à la qualité de ses membres cliniciens. Je me suis installée dans mon cabinet en Juin 2011. Aujourd’hui je ne vis pas encore de ma pratique clinique, mais j’en suis proche, à peine un an après.
Jean-Baptiste Legouis
Paris, le 17. II. 2012
Ma première expérience clinique remonte au printemps 1995. J’étais étudiant en deuxième année de DEUG de psychologie et j’ai effectué un stage de quatre mois, auprès d’enfants et d’adolescents, à l’école expérimentale de Bonneuil sur Marne, créée par Maud Mannoni.
Immédiatement après, pendant le mois de juillet de la même année, j’ai effectué un stage dans l’un des services pour adultes de l’hôpital psychiatrique de Châlons-en-Champagne.
Deux expériences radicalement différentes et fondatrices. Rencontre avec l’étrangeté, la bizarrerie, l’absurde, la folie, la souffrance et la jouissance sans entrave. Rencontre également avec deux manières de voir et de faire des professionnels.
D’un coté un lieu ouvert, des adultes en habits de tous les jours, du tutoiement, des espaces d’inventivité, de création, de surprise, une certaine proximité dans la vie quotidienne avec les enfants et adolescents accueillis, partage des repas, accompagnements à l’extérieur, séjours à la campagne. Une place essentielle faite au désir de chacun et à la parole.
De l’autre coté, un hôpital immense et de nombreux pavillon, des blouses blanches, des uniformes d’infirmier et d’aide-soignant, des pyjamas. Le bureau de la psychologue au fond d’un couloir entre la laverie et les toilettes. Des expertises psychologiques, des batteries de tests, visite matinale de toutes les chambres par le chef de service suivi d’une dizaine de personnes (internes, infirmiers, stagiaires).
J’ai découvert ensuite le monde de l’hôpital dans un service de préparation à la dialyse à domicile pour des patients atteints d’insuffisance rénale chronique terminale. Puis j’ai commencé de travaillé comme psychologue dans un point accueil jeune en Seine-Saint-Denis. J’ai occupé ce poste pendant deux ans jusqu’à ce que je fasse mon service militaire dans le service de psychiatrie de l’Hôpital d’Instruction des Armées Percy à Clamart.
Je suis devenu membre du RPH pendant mon service militaire. Les autres appelés psychologues sortaient tout juste de l’université. J’ai pu constater au cours de nos nombreux échanges comme ils étaient en difficulté pour mettre en place une véritable stratégie clinique. Des questions concrètes se posaient auxquelles l’institution n’apportaient pas de réponse. A quel rythme voir les patients ? Combien de temps ? Quelle visée pendant les entretiens ? J’ai constaté également la façon dont les séances avec un psychologue étaient prescrites par les psychiatres comme complément aux traitements médicamenteux.
Au regard de cette expérience hospitalière, les apports cliniques et stratégiques du RPH ont constitué une précieuse boussole. La pertinence de cette approche m’a été confirmée par la demande d’un patient de continuer les consultations avec moi après la fin de mon service militaire.
Par la suite j’ai travaillé dans le milieu associatif de la Seine-Saint-Denis. D’abord dans une association de prévention et de réduction des risques auprès d’usagers de drogues où j’encadrai une équipe d’éducateurs et d’animateurs qui effectuaient un travail de rue à la rencontre d’usagers de drogues en grande précarité. J’ai participé à ce travail de rue et à la mise en place d’un partenariat avec les structures sanitaires et sociales locales et départementales. J’ai pu ainsi me confronter aux difficultés de mise en place d’une articulation solide entre les services de droit commun touchants aux champs de la médecine, de la psychiatrie, du social, du judiciaire et de l’éducatif.
Cette expérience m’a amené à créer avec le regretté docteur Goisset une consultation centrée sur la consommation de cannabis et les addictions située au CMP du Pré-Saint-Gervais ainsi qu’aux centres municipaux de santé de Bagnolet et des Lilas.
Toujours dans le milieu associatif, et dans la Seine-Saint-Denis, j’ai travaillé trois ans dans un lieu d’accueil de jour pour personne sans domicile fixe. Puis, dans une structure d’accueil pour adolescents en situation de crise.
Ma visée, en occupant ces différents postes, était de rencontrer des personnes que nous n’avons pas l’habitude de voir dans des consultations privées ; usagers de drogues, personnes en grande précarité, avec ou sans papier ; adolescents maltraités, placés en foyer ou famille d’accueil, ou non.
Le département de la Seine-Saint-Denis est particulièrement riche dans la diversité des difficultés et des problématiques auxquelles la population est confrontée. Une expérience de 15 années dans ce département permet d’avoir une certaine représentation des dispositifs de droit commun, des initiatives associatives ou privée et des limites auxquelles la bonne volonté se confronte.
Parallèlement j’ai mis en place une consultation privée sur Paris que j’ai essayé d’articuler à ma pratique en institution. En particulier dans la mise en place concrète du passage du moment 2 au moment 3, tel que nous le proposons au RPH. Fernando de Amorim a théorisé ainsi trois étapes possibles dans le suivi psychothérapeutique de patients atteints de maladies organiques. Le moment 1 correspond au déplacement du psychanalyste au chevet du malade. Le moment 2 est celui des consultations externes ou en ambulatoire, le patient se rend à l’hôpital pour rencontrer le psychanalyste dans un lieu de consultation. Le moment 3 est celui où le patient se déplace jusqu’au cabinet du psychanalyste.
Nous pouvons transposer ces trois moments sur différents registres et dans différents cadres en dehors du cadre hospitalier. Par exemple, le travaille de rue consistant à aller vers des personnes sans domicile fixe ou des usagers de drogues peut correspondre au moment 1. Il se situe en deçà de la demande, du coté du besoin, de l’appel ou de la plainte. L’utilisation récurrente de l’espace public, voir, la vie de certains individus dans l’espace public interpelle le passant. En ce sens nous pouvons le lire comme un appel qui vise, par définition (cf la cartographie du RPH), n’importe qui.
Nous pouvons considérer que la fréquentation d’une institution correspond au moment 2. La personne se déplace vers un lieu pour y bénéficier d’un certain nombre de services. C’est bien souvent dans cet espace là que se déploie la plainte et que, parfois, émerge une demande.
Ces deux premiers moments sont gratuits pour les personnes qui en bénéficient. Notons au passage qu’ils ne le sont pas pour le contribuable puisque les institutions publiques ou associatives sont financées par l’argent public. La gratuité a, par ailleurs, ses contreparties ; liste d’attente, débordement des services, horaires de bureau, installation d’une logique de guichet et de service. Toute personne ayant été confrontée à la gestion téléphonique et informatique de certains services administratifs (préfecture, pôle emploi, etc.) a pu en ressentir les effets déshumanisants. C’est un point important du passage du moment 2 au moment 3 où le patient qui se déplace jusqu’au cabinet du psychanalyste va payer une somme d’argent plus ou moins importante en fonction de ses revenus. Ainsi, payer quelque chose vise à modifier le rapport que l’être entretient avec son désir. Si la gratuité peut être légitime à un moment donné du parcours d’un être, il ne nous semble pas souhaitable qu’elle s’installe durablement et devienne une exigence. Nous savons d’expérience que ce qui ne se paye pas financièrement et symboliquement peut amener l’être à payer de sa personne, en développant une maladie corporelle ou organique ou en provoquant des accidents plus ou moins graves souvent apparentés à des équivalents suicidaires. Enfin, la gratuité instaure plus facilement un rapport de domination et de soumission entre celui qui donne et celui qui reçoit.
La mise en œuvre concrète de l’articulation de ces trois moments n’est pas évidente, mais elle est possible. Elle se heurte à de nombreuses résistances, de la part des personnes, des institutions et des cliniciens.
Je participe également aux permanences du Service d’Écoute Téléphonique d’Urgence (SETU?) du RPH. Cette expérience est pleine d’enseignement sur la façon dont une ligne d’appel est utilisée massivement pour déverser la plainte. Elle témoigne également du manque cruel d’espaces de paroles dont disposent les gens. Nous prenons l’appel téléphonique comme appel tel que nous l’avons défini dans la cartographie du RPH et notre visée est de faciliter une rencontre rapide avec l’un des cliniciens du RPH. Cela afin d’éviter l’écueil que connaisse les services d’écoute bénévole et anonyme qui consiste à être « envahi » par des appelants anonymes qui téléphone très régulièrement (parfois quotidiennement) sans sortir du circuit de l’appel et de la plainte. Nous essayons dans le cadre du SETU?, de favoriser et mettre en place une rencontre réelle entre deux êtres et ne pas nourrir une relation imaginaire s’appuyant uniquement sur la rencontre de deux voix anonymes qui risque malheureusement de mener à une voie sans issue.
Cette expérience permet également de mesurer la détresse et les difficultés des proches (parents, frères et sœurs, enfants, amis) de personnes en grande souffrance psychique qui semblent, bien souvent, ne pas savoir à qui s’adresser lorsqu’ils sont témoins de comportements ou de propos inquiétants d’un membre de leur famille ou d’un ami. Nous essayons dans ce cadre là de faire en sorte que la personne qui souffre puisse prendre directement contact avec nous, et nous ne manquons pas d’interroger les proches sur leur propre souffrance. Le SETU? permet également de mesurer la réactivité et la disponibilité nécessaires pour accueillir l’angoisse ou l’anxiété lorsqu’elle se présentent sans crier gare et envahissent la vie des personnes. Nous mesurons ainsi combien un rendez-vous différé de plusieurs semaines est mal adapté. Nous avons bien conscience néanmoins du nombre très important de demandes qu’ont à gérer les Centre Médico-Psychologiques. Notre dispositif montre que des alternatives plus souples peuvent être proposées à ceux qui souhaitent savoir davantage sur leur souffrance et sur leur désir.
Pour conclure, si je devais choisir un mot pour résumer le rapport à la clinique que je m’efforce de développer et d’entretenir au fil du temps, c’est le mot Souplesse. Une façon de se garder de la rigidité, laquelle peut facilement s’avérer cadavérique, et de chercher quotidiennement la voie de la fluidité, qu’elle soit dans la parole ou dans le mouvement. La souplesse n’est pas incompatible avec la rigueur qui rime, richement, avec vigueur, ce que vous confirmeront tous les danseurs, je pense à ceux de la troupe de Pina Bausch en particulier.
Enfin, c’est de ma place de psychanalysant que s’articule tout ce qui précède.