“Vas, vis et deviens1“..
Le jeune face à la dépression
Élodie Chopard, le 15 septembre 2017
Rechercher un premier emploi, s’engager dans une relation amoureuse, définir un plan de carrière ou encore s’assumer financièrement sont les prémices nécessaires à l’entrée dans l’âge adulte. Cette étape implique de croire en sa singularité et d’accepter de remodeler ses idéaux. Pourtant, nombre de jeunes gens s’engagent en psychothérapie en disant : “Aucun emploi ne correspond à mes attentes, je veux quitter ce travail parce que je suis de plus en plus mal avec mes collègues, d’importantes souffrances persistent suite à ma rupture amoureuse, je souffre de conflits avec mes supérieurs qui minent mon entrain au quotidien” etc…
La parole de ces êtres traduit l’effort à s’impliquer dans une vie qui ne ressemble pas à ce dont ils avaient rêvé, une vie entachée de douloureux compromis. Alors, cette souffrance atteste-t-elle seulement d’une difficile transition? De la confrontation aux diktats d’une société en mouvement?
La souffrance des jeunes patients renseigne en tout cas, tant sur l’inévitable nostalgie du temps béni de l’enfance que sur l’ignorance propre aux passions des êtres. Car c’est avec toute la considération qu’a le sujet de sa propre vie intérieure qu’il prendra part ou s’extraira de la vie en société. En effet, il s’installera dans la vie active à la manière dont il a lui-même pris place dans l’univers symbolique des premiers liens d’attachement. Et quand la logique de la haine de soi -cette puissance sourde de la résistance- aura déjà coloré la vie affective de l’adolescent, alors, son discours en séance indiquera combien il lui en coûte aujourd’hui d’imaginer sa réussite. Depuis le labeur à préparer ses premiers examens, ses entretiens d’embauche jusqu’à la prise des premières décisions en son nom propre (payer seul un loyer, ses impôts, ses vacances etc…) ses projets, comme autant de passe-droits vers l’indépendance, seront mis à mal par la pulsion autodestructrice. Et, à la liberté tant attendue se substituera l’angoisse de l’échec, le sentiment d’illégitimité ou encore la perte des repères subjectifs.
Parce que l’être est pris dès l’origine dans la parole de l’Autre, l’identification aux premiers imago parentaux laissera place à l’angoisse : “Pourquoi j’attends toujours d’être sauvé par mes parents à mon âge? Étaient-ils vraiment fiers de mes résultats scolaires ou était-ce me mentir? Est-ce parce qu’on ne m’a pas suffisamment fait confiance que je manque tant d’assurance aujourd’hui? Pourquoi ai-je si peur de grandir?” etc… Ces questionnements fondent le matériel clinique que le psychothérapeute doit investiguer pour mener la cure à bon port, pour que l’être devienne ami de son désir. Charge au clinicien de ne pas répondre en tant que cet autre imaginaire car, si cette souffrance a contraint le sujet à entamer une psychothérapie, c’est bien que ses symptômes sontdes solutions de compromis trouvées entre : désir d’exister en son nom propre et défenses inconscientes sapant tous efforts d’accomplissement.
Enfin, c’est parce que l’être ne trouvera pas à l’endroit du psychothérapeute ni un maître, ni un moraliste, qu’il dira “sa” vérité qu’il s’agisse par exemple de son vécu apathique, phobique ou dépressif. Cet être pris dans la tempête de la cure se racontera dans d’excessives souffrances corporelles – maux de tête, de ventre, vertiges, paralysies, tremblements, crises d’attaque panique, vomissements etc.- ou encore somatiques et psychiques – agoraphobie, pensées obsédantes, inhibitions, actes compulsifs, ruminements mentaux etc. – De même que seront parlées en séance ses conduites à risques ou addictives comme autant de moyens utilisés pour pallier à sa souffrance. Alors seulement, cette injonction : “Vas, vis et deviens!” pourra être surmontée au prix d’un travail de parole exigeant qui arrimera l’être à son désir. Car, pour le jeune pris dans les affres de l’aliénation, ça n’est qu’au prix de l’installations réussie du transfert qu’il s’appropriera enfin sa grande quête de liberté.
1 “Va, vis et deviens” est un film franco-israélien réalisé par Radu Mihaileanu sorti en 2005.